Charlie Morel

On dit que chaque rencontre que l’on fait dans la vie n’a rien d’un hasard. Certaines personnes sont destinées à ne nous accompagner que sur une portion du chemin, d’autres sont amenées à rester. À jouer un rôle important dans notre existence, peut-être même partager la tête d’affiche avec nous. Il paraît aussi que chaque personne laisse son empreinte en nous. De manière consciente ou inconsciente. En bien ou en mal.

Est-ce que c'est ça, la définition du grand amour ? Cette certitude inexplicable d'avoir enfin retrouvé l'autre partie de soi-même ?

Je regarde ses yeux enjoués, couleur chocolat chaud, comme ceux de son fils. Il a quelque chose de charismatique. C’est le genre d’hommes vers qui je suis systématiquement attirée. Machinalement, mes yeux tombent sur ses mains. Étonnamment, il ne porte pas d’alliance.

Il m’a totalement hypnotisée avec sa foutue chemise blanche : j’ai oublié la moitié de ce qu’il m’a dit, et je n’ose pas aller lui demander des précisions. Tout ça à cause d’une chemise. Elle laisse clairement deviner sa silhouette musclée, fruit de longues heures d’exercice physique, mais aussi ses tatouages ! James a de l’encre plein le torse, l’épaule et le bras droits. Il a l’air d’en avoir dans le dos aussi, mais je ne suis pas sûre. Je meurs d’envie de tirer d’un coup sec sur sa chemise pour dévoiler ce corps qui m’obsède et assouvir ma curiosité. Je roule des yeux lorsque je ressens un petit tiraillement dans le bas du ventre. Je suis en manque.

J𠆚imerais que tu gardes cette lettre et que tu la lises si tu commences à avoir des doutes sur mes sentiments, si je me comporte comme l’imbécile que je suis ou que tu es en colère après moi. J𠆚imerais que tu lises cette lettre et que tu constates semaine après semaine, mois après mois, année après année que je suis toujours bien là, que notre couple est bien réel. Je t𠆚ime tant, Kate. […] J𠆞spère qu’à tes yeux les bons moments que l’on a partagés l𠆞mportent sur les mauvais souvenirs.

Ce n’est pas ton admiration que je veux. Mais j’ai son amitié, c’est déjà beaucoup. Une fois de plus, je mets mon trouble sur le compte de mes hormones et de ce que les médecins nomment le baby-blues. C’est exactement moi : me cacher derrière de grands concepts et des théories scientifiques pour tenir à distance mes sentiments les plus intenses. Ceux que je n’aime pas reconnaître et accepter.

Il m’avait offert un sourire ému, qui avait fait chavirer mon cœur. Rien qu’en repensant à son visage baigné d’émerveillement, je sens un nœud râpeux se former dans ma gorge alors je tends machinalement la main pour allumer la lumière. Pendant une longue minute je contemple la jolie pièce.

Je m’écarte pour le laisser passer. Nous nous faisons face dans le hall. Son regard effleure mon visage, descend le long de mon corps. Une puissante vague de désir me tord le ventre, et me fait monter les larmes aux yeux. J’ai envie de cet homme, mais je ne peux pas l’avoir.

C’est comme lui donner du pouvoir. Or, si j’ai bien appris une chose au cours de ma vie tumultueuse, c’est que lorsque vous accordez du pouvoir à quelqu’un, il peut aussi bien s’en servir pour vous faire grandir que pour vous anéantir.

Dans ses yeux, je peux lire toutes ses interrogations. Sur moi. Sur mon choix. Sur nous deux. Et dans ses yeux, je trouve aussi un grand calme. La certitude que l’on trouvera nos marques à nouveau.