Les bateaux à lessive
Au XIXe siècle, ces établissements garnissent les berges de toutes les localités d'importance traversées par un fleuve. La plupart appartiennent à des entrepreneurs privés. Comme ils ne grèvent nullement les finances communales et qu'ils rendent de grands services à leurs administrés, les maires encouragent leur profusion. De plus, ils évitent les dégradations des berges dues aux aménagements rudimentaires des lavandières : en effet, elles ont l'habitude de créer de petites jetées en moellons qui deviennent, lorsque les eaux montent, de véritables écueils pour les embarcations [...] A l'aube de la Toisième République, depuis le quartier de Bercy jusqu'au pont d'Iéna, soixante-quinze bâteaux-lavoirs ceinturent Paris ; plus impressionnante est l'armada de Strasbourg, alors peuplée de cinquante mille habitants, composée de quatre-vingt-quatre unités basée sur l'Ill. Nombre de villes moyennes en comptent deux ou trois [...] (p. 27)
Si longue et douce est la vie et si âpre et éphémère aussi.
Car ces lieux ont beau être désertés, ils sont terriblement attirants. Le tout est d’avoir la curiosité ou l’opportunité d’en franchir le seuil au moins une fois. Ils sont des ilots perdus, des petites terres d’accueil, des foyers d’où se dégage tant de chaleur. Ils ne sont plus vraiment des lieux publics, plutôt des lieux intimes à l’atmosphère si particulière qu’une douce sensation de bien-être ne tarde pas à vous surprendre.
Les lavoirs participent à la diffusion de l'idée directrice du XIXe siècle, le progrès. Ils en sont le résultat : les connaissances accrues de la médecine invitent à surveiller l'eau ; l'évolution des techniques permet de mieux maîtriser son acheminement. Mais ils sont eux-mêmes vecteurs de progrès : ils apportent confort et bien-être à la population ; ils aident à vivre plus sainement et contribuent à l'extinction du paupérisme. Mais une fois affirmée la volonté de construire un lavoir, il reste à la concrétiser ; simple formalité, serions-nous en droit de penser, puisque la plupart des communes parviennent à se doter d'un tel équipement ; bien au contraire, de nombreuses difficultés surgissent et certains lavoirs se révèlent de véritables objets de conquête.
Du bien-être physique à la santé morale (p. 19)