Citations de Claude Murcia (19)
En l'absence d'une conscience globalisante qui s'assure la maîtrise du monde par le simulacre d'une vision surplombante dont seul Dieu pourrait jouir, la fiction est désormais incapable d'accéder à un sens plein et univoque.
L'hypertrophie descriptive, dans bien des récits, brouille l'intrigue, noie la fiction sous une avalanche de notations dont la fonction cognitive s'efface derrière la sensation de vertige qu'elle produit.
Support désincarné d'un questionnement ontologique, le personnage n'a plus de réalité que littéraire ou cinématographique.
Absence de singularisation, fragmentation, contradiction des comportements, réversibilité des rôles, dissolution et abstraction sont autant de procédures qui, affectant le personnage dans son unité et sa cohérence sémantique, remettent en cause sa fonction représentative et soulignent sa dimension de construction imaginaire. Être de papier, ou de pellicule, faits de mots, ou de photogrammes, son existence ne dure que ce que dure le récit.
La description n'est plus cette excroissance suspensive qui rompait la continuité de l'action dans le roman classique ; elle devient un lieu de développement et de relance de l'action - et d'avènement du sens -, assurant ainsi la production du récit et sa cohésion interne.
L'un des procédés métadiscursifs consiste à mettre en scène un personnage qui lui-même écrit, multipliant les commentaires sur sa propre activité.
Ce qui, toutefois, porte atteinte de façon frontale et scandaleuse à la fluidité narrative, c'est l'absence de transition ménagée entre deux segments hétérogènes. Le récit dominant, qu'il soit littéraire ou filmique, prend soin de lier entre eux les différents moments de la narration afin de donner l'illusion d'une continuité sans faille.
Le système verbal, construit sur un unique système de signes - les mots - est de nature monosémiotique. Le cinéma, art de nature audiovisuelle, emprunte à deux matériaux d'expression : l'image et le son. La bande iconique intègre à la fois l'image et le texte écrit. La bande sonore se divise à son tour en trois éléments constitutifs : la parole, le bruit, la musique.
Si l'on s'en tient à la nature de chaque mode d'expression, il est clair que la vocation du roman l'entraîne vers la représentation du temps, alors que celle du cinéma favorise la représentation de l'espace.
Le récit littéraire, disposant de l'arsenal de la langue, semble incontestablement mieux armé que le cinéma pour résoudre le problème esthétique que pose la représentation du temps.
En revanche, la spatialité, dans sa dimension concrète, sensorielle, trouve au cinéma un accès presque naturel à la représentation.
Le scénario est un genre qui fut longtemps déprécié, son aspect technique étant jugé peu compatible avec la nature d'une œuvre d'art.
Pourtant, la pratique cinématographique n'a jamais eu pour Marguerite Duras l'importance de l'écriture littéraire : "Avant les livres, il n'y a rien. Mais avant les films, il y a les livres", déclare-t-elle.
Samuel Beckett, dès le début de sa carrière littéraire, lit Eisenstein, Poudovkine et Arnheim. L'écriture cinématographique le tente à tel point qu'il écrit à Eisenstein, puis à Poudovkine, dans l'idée qu'ils pourraient lui servir de maîtres. Ni l'un ni l'autre ne répond...
Une des caractéristiques des Nouveaux Romanciers est d'avoir brouillé ou assoupli les frontières génériques, tant par une pratique d'écriture, que le concept de roman ne suffit pas toujours à cerner précisément, que par un intérêt souvent productif pour d'autres modes d'expression.
Origines plus ou moins mythiques, constitution aléatoire et fluctuante, ce qui semble clair néanmoins c'est que l'unité du Nouveau Roman se construit d'abord sur un même refus des conventions littéraires alors en vigueur, sur une même volonté d'exploration et d'innovation formelles, sur l'émergence d'un nouveau rapport au monde.
Révolution morale enfin, dans la mesure où les jeunes cinéastes s'insurgent contre ce qu'ils nomment la tradition du mépris, visant par là les films qui, concentrant sur un personnage toute la vilenie du monde, en font le bouc émissaire d'une société qui se donne ainsi bonne conscience. La Nouvelle Vague refuse la simplification, les thèses et les doctrines, leur préférant la restitution de l'ambiguïté du monde.
La Nouvelle Vague prétend ébranler le système de production dont le cinéma traditionnel, bastion de professionnels consacrés, dépend étroitement. Luttant contre la tyrannie des gros budgets, elle entend démontrer que le cinéma n'est pas affaire de moyens mais de créativité. Refusant la fascination de la technique, elle prône un cinéma à petits budgets dans lequel les idées, d'une part, la solidarité, de l'autre, se substituent à l'argent.
Le cinéma, mode d'expression récent, a la spécificité d'être un "art industriel" : la formule oxymorique révèle assez le paradoxe. Son jeune âge et les contraintes de toute nature qui pèsent sur lui expliquent qu'il ait du mal à conquérir sa légitimité artistique.
"Je n'aime pas les idées claires, je préfère me débrouiller dans la pénombre." Toute l'œuvre de Juan Benet repose sur le postulat de ' "inintelligibilité fondamentale" du monde. La pénombre, terme récurrent dans ses fictions et qui donne son titre au dernier roman du cycle régionais, résume à la fois une vision du monde fondée sur l'énigme et un principe d'écriture en adéquation avec l'épistémè qui la fonde. L'incertitude et le doute, attitude d'ordre philosophique et éthique procédant de l'appréhension imparfaite et nébuleuse d'un monde impossible à connaître et à comprendre, trouvent leur corollaire dans une poétique de l'ambiguïté et de l'incertain.