AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de sonatem


     
Sans la revigoration consciente, le ressentiment n'existerait donc pas ; on en resterait à l'en-deçà inconscient, plus traumatique, mais non nécessairement devenu ressentiment. En commentant Nietzsche, Deleuze rappelle que l'oubli est chez ce dernier une capacité des grandes âmes. On pourrait évoquer la capacité de refoulement, mais celui-ci n'est pas exactement la même chose que l'oubli ; il n'en a pas l'innocence. Il est indéniable que le véritable oubli peut être aussi une force car il permet d'advenir à autre chose, l'émergence d'autre chose. ...
Mais il semble bien qu'il soit difficile de viser l'oubli délibérément : un oubli volontaire est-il encore un oubli ? Il est également évident que ceux qui éprouvent du ressentiment n'oublient pas ; mais attention au contresens qui considérerait l'homme du ressentiment comme le garant d'une mémoire, comme celui qui n'oublie jamais ce qui s'est passé. Tel n'est pas le cas. L'excitation reçue par l'homme du ressentiment est irrémédiablement médiée par ce dernier. Autrement dit, ce qui est reçu n'est pas nécessairement ce qui a été ; ou, en tout cas, n'en est qu'une infime partie. Le problème n'est pas qu'il n'oublie jamais mais que ce qui est gardé en mémoire est déjà faussé, et le sera d'autant plus par la revigoration de sa conscience qui, du reste, n'aura nul besoin d'avoir le même objet pour se revitaliser, du fait même qu'il y a effusion du ressenti dès le départ. Nous l'avons vu, le ressentiment peut très vite se passer d'objet et donc précisément d'une mémoire. S'il n'est pas dans l'oubli, il est dans la falsification, non parce que l'excitation reçue est nécessairement différente de la réalité originelle, mais parce qu'il manque d'humilité à croire qu'elle la recouvre, et qu'il ne fait pas la distinction. Ne pas faire la distinction au niveau inconscient est récupérable, précisément en travaillant à partir de l'inconscient – c'est le propre du travail analytique. En revanche, ne pas faire la distinction au niveau conscient est résolument insuffisant ; telle est l'infirmité profonde du ressentiment : se laisser tromper par lui-même, et croire, pour couronner le tout, qu'il n'a pas oublié, alors même qu'il a oublié la confusion qu'il opère.
La faculté d'oubli est un chemin pour se protéger du ressentiment, avec cette faculté essentielle qui consiste à ne pas recouvrir l'oubli par le seul désir d'oublier.
   
I. L'amer, Ce que vit l'homme du ressentiment – 15. La faculté d'oubli - extrait | pp. 60-62 (éd. Gallimard, 2020).
Commenter  J’apprécie          170





Ont apprécié cette citation (12)voir plus




{* *}