Mille et une pages avec le Pigeonnier HORS SERIE - "Ténèbres" présenté par son auteur Damien Coudier
"Ténèbres, Trois histoires au cœur de la noirceur... Les univers sont inquiétants, les personnages maudits, sans rémission possible ; ici c'est une descente aux enfers qu'on vous propose......
Alors que la cabine de l'ascenseur tremblait encore, la grille articulée se referma lourdement derrière lui. Il avançait lentement dans le couloir, sa démarche imposante était entravée par sa claudication intermittente de sa jambe gauche. Sa silhouette terrifiante inspectait de son ombre les détails du couloir. Le carrelage était fissuré par endroit, brisé par le travail du temps et les oscillations discrètes de la structure de l'édifice. À l'augure de ses pas, les portes des appartements demeuraient fermées, les âmes tourmentées se terraient dans leur cellule, silencieuses et aux abois. Il trainait son balai, comme la mort traine sa faux, le manche tenu par le bout, le bras tiré en arrière comme si l'objet pesait une tonne. Cela rendait sa démarche encore plus terrifiante, sa présence plus implacable. Il passait en revue les moindres recoins, des bouches d'aérations aux piliers ornementaux juxtaposés sur les murs. Chaque interstice lui était familier. La lumière était exsangue, vêtue de teintes délavées, accentuant un peu plus la pénombre des endroits qu'elle ne pouvait atteindre.
Une braise éclata, comme un avertissement à ne pas s'enfoncer trop longtemps dans la torpeur des souvenirs. Le feu commençait à s'éteindre, il attrapa quelques morceaux de bois pour en raviver les flammes et un autre pan de sa mémoire par la même occasion. Le temps, c'est la mémoire, sans mémoire nous n'aurions pas la notion du temps. Et puis il fallait d'abord se souvenir pour pouvoir bien oublier. Cela ferait partie de son tribut envers l'Architecte. Il croqua quelques fruits secs en guise de dessert et songea à ces repas, le soir en semaine, quand les corps éreintés venaient s'attabler, avec l'esprit et la joie laissés derrière eux. Ces moments sans appétit et sans mots, avec la télévision comme maître de cérémonie. Julie après avoir porté à sa bouche un morceau de gratin dauphinois lui demanda :
- Tu l'as mis à réchauffer combien de temps ?
S’incarner en humain requiert énormément d’énergie pour les esprits divins, ce qui les affaiblissait considérablement. En revanche, les démons qui adoraient se repaître de la fange et se vautrer dans les fluides de nos péchés n’étaient absolument pas dérangés par cet état d’incarnation.
Ceux qui rêvent éveillés ont conscience de mille choses qui échappent à ceux qui ne rêvent qu'endormis.
Edgar Allan Poe
En vérité personne ne sait ce qui se passe ici. Je me suis réveillé ce matin et il n'y avait plus rien que la nuit. Impossible de raisonner, plus rien ne fonctionnait, plus de téléphone, de radio. J'étais perdu et en voulant sortir de chez moi, ma porte était coincée…
Si seulement, si seulement je pouvais rêver, un songe ignoble qui tromperait mes sens, abusant ma réalité. Mais pour mon malheur, comme pour celui de tous mes semblables, il n'en était rien. Prisonniers de notre tangible éveil, nous subissions un cauchemar bien réel.
Les démons ne pouvaient pas l’atteindre. L’innocence le protégeait, du moins jusqu’à son adolescence. Ensuite la barrière de Dieu sera rompue et il sera confronté au poids du libre arbitre. Il sera à la merci des tentateurs et instigateurs du trouble.
Le monde moderne s'était éteint, la nuit nous avait privés de tout moyen de communication. Il nous aurait fallu crier, appeler à l'aide. Mais dans les ténèbres les esprits infâmes étaient à l'affût, nous condamnant tous au silence.
Le temps, c'est la mémoire, sans mémoire nous n'aurions pas la notion du temps. Et puis, il fallait d'abord bien se souvenir pour pouvoir bien oublier.
[...] l'inquiétude entraine le doute et le doute lui fermerait les champs des possibles qui lui étaient désormais promis.