Damien Vertet

La ville ne me fait plus peur, ne m'oppresse plus. Je me suis mis à écrire, moi qui n'aimais pas cela. J'aime laisser libre cours à la plume sur mon carnet. J'y écris mes émotions, mes désirs, mes rêves. J'imagine qu'il serait si simple de promouvoir la paix dans le monde si tout le monde s'asseyait ensemble et s'écoutait, sans jugement, sans arrière-pensée. Juste à écouter les inquiétudes des gens, leur permettre de se livrer sans crainte d'être interrompu. La vie est belle...
 
"Escusez moi, puis-je vous parler ?"
Je  soulève ma tête  des cuisses d'Alice pour me redresser et pour faire face à mon interlocuteur. Un homme d'une quarantaine d'années, souriant avec une attitude bienveillante.

Tant de nouvelles possibilités quand on arrive dans un nouveau lieu. Toutes les visions que l'on a sont inédites et c'est toujours étrange de se remémorer ce souvenir précis quand, dans quelques jours, j'y serai tellement habitué que ces visions me lasseront. Espérons que cela dure un plus longtemps que quelques jours! Le réfectoire est très bruyant et la récupération de mon plateau n'est pas spécialement agréable tellement il y a de monde. Je me dirige rapidement vers l'extérieur et je regarde autour de moi, cherchant un endroit plus calme. Tout semble bien rempli. Un flux particulier attire mon corps, Dormy l'a aussi détecté et elle flotte dans le courant. Je la suis. Après plusieurs dizaines de mètres, je tourne au coin du bâtiment et je trouve un petit bosquet. Je me fige.

J'ai tout pour être heureux, mais pourquoi ai-je ce sentiment grandissant que quelque chose me manque ? On dit souvent qu'il faut connaître le malheur pour pleinement ressentir le bonheur, est-ce mon cas ? Des mains se positionnent devant mes yeux et je sens un corps se presser contre mon dos. Délicate, c'est définitivement Alice, rien à voir avec la brutalité de sa meilleure amie. Je prends sa main et j'y dépose un baiser, alors que je me rends compte qu'Alice me fait face, fronçant les sourcils. Je me retourne immédiatement et j'y trouve une Élisa avec un grand sourire.

Trop de gens, trop d'informations, trop d'émotions toutes plus diverses les unes que les autres. Il me faut un peu d'alcool pour me créer une sorte d'indifférence à ce que je peux voir et ressentir de façon inconsciente. Juste un peu et, cela suffit  pour que nous nous dirigions vers notre second objectif, le bar à karaoké. Je ne crois pas qu'un seul parmi nous chante juste, mais le coeur y est, ainsi que l'énergie. Et les gens autour de nous nous le rendent bien. On met l'ambiance, on crée des situations incongrues, on rit beaucoup, que peut-on demander de plus ?

Elle me sourit en s'étirant. Elle ne porte que ses sous-vêtements même en ma présence et régulièrement, ces derniers glissent quand je me trouve dans son champ de vision. Elle s'amuse et son aura est toujours plus puissante, plus chaleureuse  renforcée par celle  d'Alice. Cette dernière ne semble pas se préoccuper de son amie d'enfance qu'elle a toujours connue provocante. D'après ses standards, Élisa est même plus calme qu'avant. J'ai du mal à imaginer ce que cela devait être, mais je ne peux me mentir d'être curieux.
 

Ma curiosité devient inquiétude. Mon père m'a toujours dit de ne jamais jouer avec les flux pour une raison d'équilibre. Le monde est une valeur neutre, ni bonne, ni mauvaise. Ces termes n'ont aucun sens pour la nature. Plus on pousse le curseur d'un côté, plus son opposé va dans l'autre sens. Je crains pour Élisa. Qu'est ce que j'ai fait ? Je me redresse et je ressens Dormy se poser sur mon épaule. Elle me rassure. Je n'ai fait que calmer Élisa, lui permettre de mieux dormir pendant une nuit.

J'aime l'idée de créer un sanctuaire pour les gens, un îlot de paix et je veux absolument trouver une solution, un moyen d'atteindre mon objectif. Et en même temps, je n'ai pas besoin d'un lieu particulier. L'été est là, la chaleur est bien présente, mais reste agréable. Je peux très bien créer quelque chose en plein air, ce qui rendra   que plus facile et agréable cette expérience. Il faut que je teste ça !
 
 

Les émotions s'entremêlent et les gens sont incapables d'en déterminer la nature exacte, ce qui les rend suspicieux et la partie primitive de leur cerveau les met en garde. C'est un phénomène naturel pour quiconque n'ayant qu'une partie des données, ce qui n'est pas mon cas. Les gens inquiets projettent inconsciemment leurs peurs ce qui les rend quasi-réelles et peut provoquer des incidents pour  d'autres personnes.

Comme souvent, on a tendance à se torturer tout seul, à alimenter notre propre tristesse ou désespoir. C'est généralement un cercle vicieux très difficilement évitable quand il est bien établi. Je soutiens Dormy, je rejette cette tension ambiante et je laisse le calme atteindre mon colocataire tourmenté. Des pointes de quiétude apparaissent et se résorbent doucement, de plus en plus doucement.

La musique aidant, les corps bougent sans réfléchir, dans des flux puissants d'émotions. Je me laisse porter, tout comme tous mes compagnons, le sourire aux lèvres. C'est une vie simple, sans artifices, sans retenue, sans jugement. La nature du monde est celle-ci, simple. Les gens veulent, ressentent les mêmes choses. Pourquoi vouloir cela, pourquoi chercher cela, pourquoi désirer cela ?