Dani Atkins

Il venait d'une génération où nul problème n'était insoluble dans une tasse d'eau chaude avec un sachet de thé.

Derrière le verre dépoli, je distinguai une grande silhouette sombre. Mon coeur fit un petit bond dans ma poitrine tandis que je déverrouillais la porte pour accueillir notre visiteur. Rien de tel que la visite d'un ami décédé pour vous retirer tout semblant d'appétit.

Est-ce que c'était vraiment chez moi ? Etait-ce encore ainsi que je voyais cette ville ? Cela faisait cinq ans que je n'y vivais plus, alors, techniquement, ce n'était plus chez moi. Mais aucun autre endroit ne me semblait mériter cette appellation.

Il ne remit pas en question le trajet, il n'essaya pas une seule fois de s'arrêter pour me forcer à lui expliquer où je nous menais. Il ne tressaillit même pas sous les ordres que j'aboyais, à l'exception d'un unique commentaire, presque un murmure :
- Tu sais, la fille du GPS est vachement plus aimable.

Mais j'avais cru certaines personnes suffisamment importantes pour faire toujours partie de ma vie et, pourtant, elles en avaient peu à peu disparu.

Lorsque j'étais d'humeur facétieuse, je disais que mon appartement avait un charme délabré, le charme en moins. C'était un bon résumé.

Je vois bien les preuves que j'ai sous les yeux, et c'est logique, il faut bien que je l'accepte. Mais dans ma tête, dans mon cœur, ça me paraît encore complètement faux.

Ma première vie s'est achevée à 22h37, par une nuit pluvieuse de décembre, dans une rue déserte près d'une vieille église.
Ma seconde vie a commencé quelques dix heures plus tard, quand je me suis réveillée, aveuglée par les lumières agressives de l'hôpital, avec une vilaine blessure à la tête et une vie dont je n'avais pas le moindre souvenir. J'étais entourée de ma famille et de mes amis, ce qui aurait dû me rassurer. Pourtant, ça a été le contraire. Car l'un d'entre eux était censé être mort depuis bien longtemps.

Il y a des blessures trop profondes pour monter jusqu'à nos lèvres.

« Au fil des années, j'avais cru être arrivée à une forme d'acceptation, mais je me rendais désormais compte que je n'avais rien fait de plus que poser un fin voile de déni sur une plaie béante. »

Je songeais parfois qu'il devait exister quelque part une famille qui avait bénéficié de vingt années de bonne santé et de bonne fortune, car il me semblait qu'on nous avait donné leur part d'épreuves lugubres en plus de la nôtre.

La tombe de Jimmy était un peu à l'écart, visiblement plus récente que ses voisines. La pierre était en marbre blanc, étincelant sous la lueur iridescente de la lune hivernale. Je m'approchai et respirai un bon coup avant de lire l'inscription.
Jimmy Boyd
Disparu trop tôt, à l'âge de dix-huit ans
Fils bien-aimé et ami loyal
Notre amour pour toi perdurera toujours.
Un sanglot m'échappa, un cri primaire, plus animal qu'humain.

-Elle est partie,dit doucement le docteur à l'oreille de l'homme .Derrière eux, la machine gémissait une note continue, comme pour confirmer ses dires.

Une longue note continue sortit de l'orgue de l'église derrière nous, avant de se muer en la mélodie d'une de mes chansons d'amour favorites.
Une fois près de la sortie, les placeurs nous ouvrirent grand les portes.
Un soleil étonnamment vif pour ce mois de février surgit et, après les ténèbres de l'église, nous fumes éblouis par son intensité.
Puis Jimmy et moi échangeâmes un long regard avant d'avancer ensemble vers la lumière.

« Ma première vie s’est achevée à 22h37, par une nuit pluvieuse de décembre, dans une rue déserte près d’une vieille église. Ma seconde vie à commencé quelques dix heures plus tard, quand je me suis réveillée, aveuglée par les lumières agressives de l’hôpital, avec une vilaine blessure à la tête et une vie dont e n’avais pas le moindre souvenir. »

Rien n’est jamais écrit d’avance

Même dans les pires moments, la vie réserve des surprises qui lui donnent toute sa saveur…

Qui es-tu? pensais-je. Tu as bien été la fille, la femme et certainement la mère de quelqu'un. Comment t’es-tu perdue à ce point?

Je ne sais pas ce qui m’émut le plus. Son éternel optimisme, le fait qu’elle m’appelle par mon nom d’enfant – ce qu’elle n’avait pas fait depuis une vingtaine d’année –, ou l’idée que dès le lendemain matin, je serais seule à me rappeler cette scène.

Je rêvais. Nous étions en France, dans le gîte près de la vieille ferme en ruines, et ma mère était impatiente de sortir peindre, mais je la retenais en insistant pour qu’elle me brosse les cheveux avant mon départ pour l’école. Comme la plupart des rêves, celui-ci était absurde, il n’avait aucun sens.

Voilà, ce n’était pas un mensonge, même si je livrais là une version intéressante de la vérité. Demeurait, en revanche, un mensonge que je n’étais pas fière d’avoir proféré, quand j’avais dit à Caroline que je n’avais pas envie de parler de tout ce qui venait de se produire. Au contraire, j’en éprouvais le besoin urgent. Mais il fallait que je trouve un interlocuteur impartial, quelqu’un de bienveillant, quelqu’un qui soit apte à comprendre mieux que quiconque ce que je traversais, pour avoir lui-même été victime de cette odieuse trahison.