Antoine sait très bien qu' arriver en Corse, sentir venir à soi l'île ou plutôt aller vers elle, cela ne peut se faire décemment qu'au rythme des flots.
Dessein de quitter une dame qui ne le contentait
que de promesse
Beauté, mon beau souci, de qui l’âme incertaine
A, comme l’océan, son flux et son reflux,
Pensez de vous résoudre à soulager ma peine,
Ou je me vais résoudre à ne la souffrir plus.
Vos yeux ont des appas que j’aime et que je prise.
Et qui peuvent beaucoup dessus ma liberté :
Mais pour me retenir, s’ils font cas de ma prise,
Il leur faut de l’amour autant que de beauté.
Quand je pense être au point que cela s’accomplisse
Quelque excuse toujours en empêche l’effet ;
C’est la toile sans fin de la femme d’Ulysse,
Dont l’ouvrage du soir au matin se défait.
Madame, avisez-y, vous perdez votre gloire
De me l’avoir promis et vous rire de moi.
S’il ne vous en souvient, vous manquez de mémoire
Et s’il vous en souvient, vous n’avez point de foi.
J’avais toujours fait compte, aimant chose si haute,
De ne m’en séparer qu’avecque le trépas
S’il arrive autrement ce sera votre faute,
De faire des serments et ne les tenir pas.
// François de Malherbe
Je rêve que je rêve
Je rêve que je rêve et je suis là pourtant
Devant vous, jeune fille, ô comble de jeunesse,
Mais vous êtes réelle et si sûre du temps
Qui vient vous courtiser, alors qu’il me délaisse
Dans un coin de brouillard toujours sans feu ni lieu
D’où je vois, vivement, aller venir vos yeux
Et d’avancer vers moi quelque secrète barque
Vide, où mon cœur tout seul et sans le corps embarque
// Jules Supervielle (16/01/1884 - 17/05/1960)
Le Phénix (1951)
Je t'aime pour toutes les femmes que je n'ai pas connues
Je t'aime pour tous les temps où je n'ai pas vécu
Pour l'odeur du grand large et l'odeur du pain chaud
Pour la neige qui fond pour les premières fleurs
Pour les animaux purs que l'homme n'effraie pas
Je t'aime pour aimer
Je t'aime pour toutes les femmes que je n'aime pas
Qui me reflète sinon toi-même je me vois si peu
Sans toi je ne vois rien qu'une étendue déserte
Entre autrefois et aujourd'hui
Il y a eu toutes ces morts que j'ai franchies sur de la paille
Je n'ai pas pu percer le mur de mon miroir
Il m'a fallu apprendre mot par mot la vie
Comme on oublie
Je t'aime pour ta sagesse qui n'est pas la mienne
Pour la santé
Je t'aime contre tout ce qui n'est qu'illusion
Pour ce cœur immortel que je ne détiens pas
Tu crois être le doute et tu n'es que raison
Tu es le grand soleil qui me monte à la tête
Quand je suis sûr de moi.
Paul Eluard
Odelette
Si j’ai parlé
De mon amour c’est à l’eau lente
Qui m’écoute quand je me penche
Sur elle ; si j’ai parlé
De mon amour, c’est au vent
Qui rit et chuchote entre les branches ;
Si j’ai parlé de mon amour, c’est à l’oiseau
Qui passe et chante
Avec le vent ;
Si j’ai parlé
C’est à l’écho.
Si j’ai aimé de grand amour,
Triste ou joyeux
Ce sont tes yeux ;
Si j’ai aimé de grand amour,
Ce fut ta bouche grave et douce,
Ce fut ta bouche ;
Si j’ai aimé de grand amour,
Ce furent ta chair tiède et tes mains fraîches :
Et c’est ton ombre que je cherche.
// Henri de Régnier (28/12/1864 - 23/05/1936)
Au tribunal d’amour, après mon dernier jour…
Au tribunal d’amour, après mon dernier jour,
Mon cœur sera porté diffamé de brûlures,
Il sera exposé, on verra ses blessures,
Pour connaître qui fit un si étrange tour,
À la face et aux yeux de la Céleste Cour
Où se prennent les mains innocentes ou pures ;
Il saignera sur toi, et complaignant d’injures
Il demandera justice au juge aveugle Amour :
Tu diras : C’est Vénus qui l’a fait par ses ruses,
Ou bien Amour, son fils : en vain telles excuses !
N’accuse point Vénus de ses mortels brandons,
Car tu les as fournis de mèches et flammèches,
Et pour les coups de trait qu’on donne aux Cupidons
Tes yeux en sont les arcs, et tes regards les flèches.
// Théodore Agrippa d’Aubigné
"Je vis, je meurs, Je me brûle et me noie..." (1555)
Je vis, je meurs ; je me brûle et me noie ;
J'ai chaud extrême en endurant froidure :
La vie m'est et trop molle et trop dure.
J'ai grands ennuis entremêlés de joie.
Tout à un coup je ris et je larmoie,
Et en plaisir maint grief tourment j'endure ;
Mon bien s'en va, et à jamais il dure ;
Tout en un coup je sèche et je verdoie.
Ainsi Amour inconstamment me mène ;
Et, quand je pense avoir plus de douleur,
Sans y penser je me trouve hors de peine.
Puis, quand je crois ma joie être certaine,
Et être au haut de mon désiré heur,
Il me remet en mon premier malheur.
Louise Labé