Une clameur s’éleva de la foule lorsque le « Nathalie
Henneberg » rétracta ses volets de protection, dévoilant aux
regards des futurs colons l’espace dans toute sa profondeur. Au
signal du gong, nous nous étions massés devant la baie
panoramique pour ne pas perdre une miette du spectacle. La
plupart de ceux qui m’entouraient étaient décharnés, les joues
creusées, les orbites proéminentes, et je ne devais pas faire
meilleure figure. L’hibernation, ou plutôt le sommeil prolongé,
laissait des stigmates que seul un régime approprié saurait effacer rapidement. J’avais encore à l’esprit cette phase préliminaire à l’embarquement, où nous avions tous été gavés comme des oies pour emmagasiner le maximum de calories. Il n’existait pas d’autre solution pour résister aux longues années de vie suspendue et surmonter avec le maximum de chances l’épreuve des immensités glacées.
Alors que nous nous apprêtions à nous enfoncer dans cette
étendue, à peu de distance de nous, monta un son étrange à la
modularité inquiétante, proche d'un fifre.
— Oh ! Oh ! S'exclama Jung, stoppant net. On dirait que nous
ne sommes pas seuls ! Mets-toi derrière moi. Avec nos casques,
nous ne risquons pas de nous faire surprendre.
A nouveau le bruit se répéta. Nous étions maintenant trop loin
de nos camarades et ne pouvions compter que sur nous-mêmes.
Isolés sur une planète inconnue, hantée par une faune dont le seul
représentant que nous connaissions inspirait plutôt l'effroi, je me
demandais soudain si jouer au petit soldat avec Raoul n'était pas
une meilleure alternative… De toute manière les dés roulaient,
mais heureusement nous n'étions pas totalement démunis grâce à
nos armes.
— Regarde ! Me dit Jung.
J'avais aussi aperçu l'étonnant équipage qui venait vers nous,
émergeant de l'océan d'herbes. Une créature qui avait l'apparence
d'un homme chevauchait un Gruull volant au-dessus des tiges
caressées par le vent. Tandis qu'il approchait, le bourdonnement
enfla et je vis que deux autres de ces insectes hideux
l'accompagnaient.
La cohérence d'ensemble m'échappait, ce futur qu'elle disait certain sous condition d'un présent qu'elle décrivait comme fluctuant.
Isolés sur une planète inconnue, hantée par une faune dont le seul représentant que nous connaissions inspirait plutôt l'effroi, je me demandais soudain si jouer au petit soldat avec Raoul n'était pas une meilleure alternative... De toutes manières, les dés roulaient...
Le bonheur est multiforme et ne s'embarrasse pas des notions de bien et de mal.