La canonisation du silence
Sa musique est d'une perfection cristalline qui ne se révèle qu'à un regard aimant et prolongé.
Ce que la musicologie doit passer sous silence, on peut en parler ici. Brahms évoque la dernière visite qu'en compagnie de Clara il fit à Schumann mourant : "Je ne verrai sans doute jamais rien de plus bouleversant que les retrouvailles de Robert et Klara.
Il demeura d'abord longtemps étendu, les yeux clos, et elle restait agenouillée devant lui, plus calme qu'on ne le croirait possible. Mais, ensuite, il la reconnut, et le jour suivant aussi.
Une fois, il demanda distinctement à l'enlacer, l'entoura d'un bras.
Il était depuis longtemps incapable de parler ; on ne pouvait comprendre, ou s'imaginer comprendre, que quelques mots isolés. Cela suffisait à la rendre heureuse. Il refusait souvent le vin, mais parfois, il suçait avidement et longuement celui qu'elle lui tendait au bout de son doigt ; on savait bien alors qu'il reconnaissait ce doigt."
La canonisation du silence
Cette musique n'est audible que pour celui qui la comprend. les sons arrivent de lointains mystérieux, s'ordonnent imperceptiblement en apparaissant, se cristallisent en quelque sorte et disparaissent.
Dieter Schnebel
RAGTIME
ou Un rythme fait son époque
Nous jouons du ragtime parce ce Dieu - quand personne ne le regarde - danse sur cette musique. Si Dieu est noir, il danse dessus.
Alessandro Baricco
Le piano par la fenêtre
J'avais beaucoup de maisons : mais c'était au piano que je me sentais chez moi.
G. GERSHWIN
A contre-courant
...quelqu'un qui s'assied comme ça devant un piano cherche quelque chose, quelque chose d'inouï. Anesthésié par l'intimité, il cherche sur toutes ces touches un signe qui dépasse tout ce qui est à jouer. Peut-être que le secret de la musique se trouve dans les fentes de l'ivoire. Peut-être que personne n'a seulement l'idée de ce qu'il faut chercher.
C'était inévitable : le piano finit par en avoir marre de l'homme. A la fin des fins, il se dégoûte des ces pianistes qui, jour et nuit, portent la main sur lui. il veut enfin échapper à la torture que lui infligent pianoteurs et tapoteurs, saboteurs et chipoteurs, grands sentimentaux et hommes de bonne volonté. Il en assez des jeunes filles de bonne famille comme des stakhanovistes dévorés d'ambition, assez de ces mines revêches ou extasiées, il ne veut plus voir ni poitrines opulentes ni moustaches cirées, ni plastrons empesés ni tabliers de cuisine. Les ongles rongés lui répugnent autant que les longues griffes vernies, les chaussures sales sur ses pédales autant que les chopes de bière posées sur son couvercle.