Ce soir, je vais boire ! Et plutôt deux fois qu’une ! Mais d’abord, et en l’honneur des bouteilles que je viderai, je vais faire ma toilette et me mettre sur mon trente et un. Tandis que le jet chaud de la douche martèle et détend mes terminaisons nerveuses, je repense aux pilules roses que je ne vais pas manquer d’avaler, avant de passer illico presto aux nombreux verres de vin qui m’attendent. D’abord du vin blanc, ensuite du vin rouge, et enfin du cognac. J’ai l’air plus âgé que je ne le suis en réalité ? Parfait ! Je vais dîner seul dans le restaurant de l’hôtel et boire en silence, jusqu’à en tomber dans les pommes. Je poursuivrai de longues conversations avec Rachmaninov dans lesquelles je lui demanderai pourquoi l’âme russe est si violente dans son expression.
La vodka déploie en moi des étendues de confiance en moi, pareilles à ces inébranlables hauts plateaux du Finnmark. Des cristaux de neige dansent dans ma tête.
Je ralentis le tempo, peu à peu, jusqu’à obtenir un ritardando époustouflant comme quasiment personne ne le pratique, à l’exception de ce groupe de rock étrange originaire des USA, qui se fait appeler The Doors. J’ai comme l’impression d’être englouti dans un autre monde, un monde où règne à la fois sensibilité et sensiblerie où la moindre note possède sa propre valeur.
Répéter m’apporte cette part de sens que je recherche. Je peux m’isoler dans la musique, m’enterrer dans les détails, marteler un semblant de colère ou interpréter Chopin pour pleurer toutes les larmes de mon corps.
Je rêve que j'interprète le Concerto pour piano n°2 de Rachmaninov. Je connais la partition sur le bout des doigts. Même les mouvements que je n'ai pourtant jamais répétés, je les maîtrise complètement. Soudain, je me rends compte que le chef d'orchestre m'observe d'un air bizarre. Il regarde mes doigts, qui filent sur le clavier à toute vitesse. Et c'est là que je comprends : aucun son ne sort du piano ! Je n'ai aucune force ! Je ne parviens même pas à frapper un accord, à appuyer sur les touches : je joue dans l'air.
Je m’approche de son électrophone. Je mets un disque. Le Quintette à cordes en ut majeur de Schubert. Le deuxième mouvement. Les larmes coulent sur nos joues.
- C’est beau, dis-je.
- Tellement beau que ça devrait être interdit.
La vodka comme réconfort. La vodka comme médicament. Je sais désormais qu’elle fournit le combustible nécessaire au fonctionnement de ma machine et m’apporte l’énergie qui me manque.
Car là où résonne la musique jaillit la vie, plus forte que nulle part ailleurs.
Au creux des sonorités de Debussy se loge un intellect froid, un compositeur que la sensiblerie exaspère. (...) "Écoute-le, celui-là ! pouvait-elle s'exclamer lors d'un concert radiodiffusé. Écoute-le épater la galerie ! Tu entends ces horribles silences ? Tu entends que ce sont des pauses toutes calculées ? Alors qu'il ne croit même pas à son propre silence !"
Qu'a étudié Haruki Murakami ?