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Critiques de Dominique Goy-Blanquet (117)
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10 minutes et 38 secondes dans ce monde étrange

10 minutes et 38 secondes ... c'est le temps au cours duquel le cerveau humain peut encore fonctionner alors que le coeur a cessé de battre, en l'occurence celui de Tequila Leïla, prostituée assassinée dont le corps a été retrouvé dans une benne à ordures d'un faubourg d'Istanbul. Qui était-elle? Qui l'a tuée? Qui se souviendra d'elle après son départ?



La première partie, la plus longue «  l'esprit » est éblouissante et dresse le portrait nuancée couche après couche d'une femme forte car libre malgré les épreuves qu'elle a traversées. La narration est brillante, alternant les dernières pensées de Leïla, son passé, son enfance, son adolescence, mais aussi la présentation de ses cinq amis à la vie à la mort.



Il y a de la rage à décrire les violences faites aux femmes dans le cadre d'un patriarcat étouffant ; une scène est particulièrement époustouflante, relatant un incident odieux qui sera un des pivots du parcours de Leïla, lors d'un pique-nique familial alors qu'elle n'a que six ans. Ce n'est pas un hasard si le roman s'achève en 1990, date à laquelle la mobilisation des femmes turques a empêché la mise en place d'un projet de loi terrible qui aurait exempté de sanctions un violeur du moment que la victime aurait été une prostituée. Cette rage s'empare du lecteur dont le coeur s'emballe d'empathie pour Leïla.



De la rage mais aussi beaucoup de mélancolie à dire une Turquie que l'auteure a quitté depuis une dizaine d'années, elle, la femme de combat, la féministe engagée en faveur des droits humains, qui défie le gouvernement Erdogan et toutes formes d'hypocrisie, de censure, de bigoterie. Après un procès pour insulte à l'identité turque ( suite à la parution de la Bâtarde d'Istanbul qui évoquait le génocide arménien ), là-voilà sous le coup d'une nouvelle enquête pour obscénité. Ce roman est jugée obscène, alors qu'il ne fait que donner une voix aux parias, aux invisibles, aux exclus, qui comme Leïla et ses amis se sont réfugiés à Istanbul pour vivre leur vie loin des tabous.



Si la première partie m'a emportée, j'ai nettement moins aimé les suivantes «  le corps » et « l'âme ». Cette fois, j'ai été gênée par le procédé forcément artificiel qui consiste à faire parler un mort. le magnifique romanesque se transforme en une multitude de péripéties très rocambolesques. Trop à mon goût, à la limite du grotesque préjudiciable pour l'émotion et d'un mysticisme auquel je suis naturellement peu sensible, alors que jusqu'à présent, le style de l'auteur m'avait comblée.



Reste un très beau portrait de femme écrit par une écrivaine d'une sacrée trempe.



Lu dans le cadre du jury Grand Prix des Lectrices Elle 2020, catégorie roman
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10 minutes et 38 secondes dans ce monde étrange

La prostituée Tequila Leila est retrouvée assassinée, son corps jeté dans une poubelle d’Istanbul. Comment cette femme a-t-elle pu finir si tragiquement sur les trottoirs de la ville ? Pendant les dix minutes qui suivent sa mort, soit le laps de temps pendant lequel des scientifiques ont constaté que l’activité cérébrale d’une personne décédée pouvait perdurer, Leila se remémore son parcours, depuis l’Anatolie jusqu’aux bas quartiers stambouliotes, là où après avoir rompu avec sa famille, elle a fini, dans son malheur, par trouver la solidarité et l’indéfectible amitié d’autres parias. Ils sont cinq : cinq amis qui vont tout faire pour lui éviter l’ultime infamie, celle du Cimetière des Abandonnés, à Kylios.





Une triste photographie figure à la fin du roman : un champ de mauvaise terre caillouteuse, boursouflé de vagues renflements agglutinés dans le plus grand désordre et piquetés de grossières étiquettes simplement numérotées. C’est dans cet équivalent très sommaire de nos carrés des indigents en France, que sont entassés après leur mort les indésirables de la société d’Istanbul, rejetés par leurs familles elles-mêmes. S’y côtoient misérables et marginaux, prostituées et travestis, délinquants et criminels, révolutionnaires « morts » en garde à vue, insurgés kurdes, bébés abandonnés… : tous mis au rebut à l’issue d’une existence de réprouvés. Cette histoire, fictive mais représentative, retrace le parcours de l’une de ces personnes abandonnées, prostituée tuée dans l’indifférence générale et simplement transférée, sans enquête judiciaire, de la poubelle où elle a été jetée à cet officiel terrain vague qui tient plus du dépotoir que du cimetière.





Leila n’est autre qu’une fille ordinaire, grandie dans une famille ordinaire, en Anatolie. Née en 1947, elle vit sous l’autorité d'un père pris d'une austère ferveur religieuse. Victime injustement sacrifiée à l’honneur familial, elle quitte la maison sans espoir de retour. Désormais proie facile puisqu’une femme seule osant prétendre à l’indépendance est déjà considérée « perdue » dans les années soixante en Turquie, sans ressources ni protection, elle rejoint bientôt la frange la plus méprisée de la société, que ni personne, ni la police, ne protégeront jamais des maltraitances, ni même des crimes.





L’histoire elle-même serre le coeur, pourtant aucune tristesse, aucun pathos, ne viennent charger une narration alerte, imprégnée de la chaleur humaine que partagent Leila et ses amis, déchus eux aussi. Après le frappant défilement d'une vie pendant le bref moment séparant l’arrêt cardiaque et la mort cérébrale, le récit se poursuit en compagnie des cinq amis de Leila, dans une folle équipée aussi hilarante dans ses macabres rebondissements que touchante dans sa fidélité à la disparue. Impossible de ne pas se prendre d’affection pour ces cinq autres personnages, - en tête desquels l’inénarrable trans Nalan -, désarmants de vulnérabilité, de sincérité et de dignité dans leur infrangible solidarité de pestiférés.





Exilée en Angleterre après avoir fait les frais en Turquie de sa libre expression littéraire, Elif Shafak continue de dénoncer l'hypocrisie d'une société turque qui n'en finit plus de renforcer sa violence autoritariste. Les femmes en sont les premières victimes, puisque, face aux rigueurs religieuses croissantes, beaucoup d'entre elles se retrouvent plus que jamais marginalisées et vilipendées lorsqu’elles prétendent à leur indépendance. Lucide, mais non dépourvu de drôlerie malgré la gravité de son sujet, ce livre qui se lit d'un trait exprime autant de révolte que d'attachement à une Istanbul que l'on découvre sous un jour sans fard. Nouveau coup de coeur pour cet auteur qui fait partie de mes favoris.


Lien : https://leslecturesdecanneti..
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10 minutes et 38 secondes dans ce monde étrange

Un véritable hommage à l'amitié et à la différence.

Leila croupit au fond d'une benne, assassinée et, pendant 10 minutes et 38 secondes, se remémore sa vie.

Il est questions de secrets de familles, de blessures d'enfance, de préjugés, du poids des traditions mais aussi de bienveillance et de solidarité.

Elif Shafak nous conte Istanbul avec ses couleurs, ses odeurs, son vacarme, ses bas-fond, sa culture et son énergie.

En toile de fond sont abordés la corruption, l'autoritarisme d'Etat, le patriarcat, le condition de la femme et le manque de liberté.

La plume est élégante et poétique.

Un roman délicat et émouvant.

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10 minutes et 38 secondes dans ce monde étrange

Avant de vous parler de ce livre, je dois vous faire un aveu : je ne m’étais jamais plongée dans la littérature turque. Je n’étais même pas capable de vous citer un auteur en particulier, je n’avais jamais parcouru de bouquins quel que soit son genre : policier, roman,… Honte sur moi!



C’est l’une des raisons qui fait que j’aime tant participer à des jurys littéraires. Oui, les lectures nous sont imposées. Et parfois, c’est vrai que cela semble rude, du fait que les livres peuvent être si éloignés de ceux qu’on lit habituellement. Par contre, parfois, c’est la surprise et encore mieux la très bonne surprise ! Et voilà c’est le cas pour moi avec ce livre « 10 minutes et 38 secondes dans ce monde étrange ».



Quel bonheur de faire une si belle découverte avec ce roman si sensible, touchant et poignant. Il sera définitivement l’un de mes coups de coeur de l’aventure du Grand Prix des Lectrices Elle. Même une fois terminé, il me hantera encore longtemps !



Plusieurs de mes copines collègues du jury du mois de mars connaissaient déjà l’auteure, Elif Shafak et étaient ravies d’avoir dans notre sélection « Roman » sa nouvelle oeuvre. Pour ma part, je n’ai pas osé le leur dire mais je ne la connaissais absolument pas. Par contre, une fois parcouru la quatrième de couverture de ce livre, elle a su titiller ma curiosité par son côté assez énigmatique mais aussi distiller l’envie de le lire.



Leila, prostituée à Istanbul, est tuée et son corps est balancé dans une benne à ordures. Alors que son coeur s’est arrêté, son esprit et son âme vivront encore durant 10 minutes et 38 secondes. Cela sera le temps mais aussi la dernière occasion de revenir sur quelques moments qui ont émaillé la vie de Leila, de comprendre ce qui l’a amenée là et finalement, de faire un petit bout de chemin en sa compagnie.



Selon moi, c’est un livre qui peut plaire à de nombreux lecteurs du fait qu’il s’apparente à divers genres littéraires. Pour les amateurs de polars, il peut se lire comme une enquête menée pour découvrir qui est l’assassin de Leila. Pour les fans de voyages, c’est l’occasion de se rendre en Turquie et surtout à Istanbul, ville à cheval sur l’Occident et l’Orient. Pour les historiens, ils ne seront pas laissés pour compte puisqu’il fera découvrir ou redécouvrir des événements réels et forts du 20ème siècle.



Ode aux femmes, à l’amitié mais aussi aux personnes laissées pour compte, le style d’écriture de l’auteure est élégant et le travail de traduction a été merveilleusement accompli rendant la lecture aisée et attrayante.



Il est très difficile de ne pas s’attacher au personnage de Leila, souvent maltraitée par la vie mais pourtant dotée d’une très grande force d’esprit et d’une obstination à toute épreuve. Il en est de même pour sa bande d’amis, personnages secondaires et pourtant, ô combien importants.



Vous l’aurez compris, c’est mon petit coup de coeur du mois. Je n’ai pas trouvé de points négatifs à relever, son héroïne Leila restant gravée longtemps en moi.



Lu dans le cadre du Grand Prix des Lectrices Elle 2020, sélection « Roman », pour le jury du mois de mars.
Lien : https://www.musemaniasbooks...
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10 minutes et 38 secondes dans ce monde étrange

Je ne connais pas l'auteure. En fait je n'ai jamais lu, à ma connaissance, d'auteur turc. Partons à la découverte !

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"10 minutes et 38 secondes" : l'auteure imagine que pendant cette durée, même si notre corps est mort, notre esprit tourne encore et se remémore certains souvenirs.

L'auteure va égrener minute après minute, des épisodes de la vie de son héroïne, Leila, femme turque, dont le corps va être retrouvé dans une poubelle suite à son assassinat.

C'est original, mais un peu décousu. Je ne sais pas si c'est ça qui a fait que j'ai eu quelque mal à m'attacher à cette héroïne, bringuebalée par la vie, par le patriarcat, par un monde arriéré mais très actuel de domination. Il m'a manqué un je ne sais quoi pour être touchée.

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Au final j'ai trouvé la 2e partie (les amis de Leila se liguent pour lui offrir une cérémonie mortuaire comme elle aurait aimé ou comme ils voudraient pour elle) plus relevée par ses personnages atypiques. En fait je serais bien restée avec ce groupe bancal mais attachant.

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Donc une lecture en demie teinte pour moi, mais un roman intéressant.
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10 minutes et 38 secondes dans ce monde étrange

Il y a longtemps que je veux lire Elif Shafak et découvrir un de ses romans alors j’ai sauté sur l’occasion avec la publication de son dernier roman 10 Minutes 38 Seconds in this Strange World. Il faut dire que le résumé est vraiment intriguant !



Leila vient de mourir et dans la première partie du roman, nous suivons les dix minutes qui suivent sa mort. Pendant 10 minutes, sa vie va défiler et elle va nous raconter ses souvenirs : son enfance, son arrivée à Istanbul, sa vie au bordel en tant que prostituée, sa rencontre avec ses amis…. Dans la seconde partie, on suit les gens qui ont connu Leila et qui se confie. C’est un beau portrait de femme que signe ici l’auteure.



Tous les personnages sont attachants : Leila bien sûr mais aussi tous les personnages qui gravitent autour d’elle. Leila est une jeune femme forte, naïve parfois mais tellement drôle et audacieuse. Elle m‘a fait sourire très souvent et je l’entends encore dire « Darling ». Son histoire est aussi parfois très touchante, notamment son enfance ou certains passages peuvent être difficiles.



Le contexte historique est très bien dépeint en arrière-plan de l’intrigue : en Turquie où j’ai appris beaucoup mais aussi le contexte international où l’on assiste à l’assassinat de Kennedy ou encore la lutte de Martin Luther King via Leila et les journaux d’époque qu’elle lit.



C’est aussi une autre vision de la Turquie. Quand je pense à ce pays, je suis très loin d’imaginer les bordels, les transsexuels… On sent une société bien complexe, où tradition et modernité s’opposent, Europe et Orient, Islamique et Athée.



Enfin je suis conquise par la très belle plume de l’auteure et la construction de ce roman qui comprends récit dans le récit et qui fonctionne à merveille. Cela m’a rappelé parfois les contes des 1001 nuits. Je lirai sans hésiter d’autres romans d’Elif Shafak car j’ai passé un excellent moment avec celui-ci.
Lien : https://missmolko1.blogspot...
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10 minutes et 38 secondes dans ce monde étrange

Téquila Leila c’est ainsi que la connaissent ses amis et ses clients, elle gît quelque part dans les faubourgs d’Istanbul au fond d’une benne à ordures. Pendant les quelques minutes qui suivent sa mort, Leila va se remémorer des choses de sa vie qu’elle croyait perdues à jamais. Une odeur, un goût et voilà ses pensées qui évoquent un souvenir surgi du passé. Tout commence dans une maison de vacances au bord de la mer, Leila a six ans, son oncle quarante-trois. Elle a de la saleté en elle, une saleté impossible à laver.



Elif Shafak nous offre un roman à la construction très originale. Dans une première partie, elle nous raconte la vie d’une jeune femme brutalisée, brisée, mais profondément courageuse qui conserve son humanité malgré un monde déterminé à l’écraser à chaque jour.

Au cours de ces années, Leila se fait cinq amis essentiels une famille de substitution dont les histoires sont brièvement entrecoupées des siennes. Une belle amitié entre six êtres vulnérables, écorchés par la vie

« Chaque fois qu’elle trébuchait ou basculait, ils étaient là pour elle, la soutenant ou adoucissant l’impact de la chute. »



Une fois que nous sommes arrivés à 10 minutes et 38 secondes, le cerveau de Leila rejoint son corps dans la mort, et le récit se transforme en une escapade comique des amis de Leila qui tentent de la sauver du cimetière des Abandonnés là où reposent tous les rejetés par leur famille ou leur village, les pouilleux, les malades mentaux, les épaves, les mères célibataires, les prostituées, les indésirables, les parias de la société, les lépreux de la culture.



Elif Shafak est une voix éminente pour les droits des femmes et des LGBTQ dans le monde, dans ce roman puissant et émouvant, elle donne la parole aux nombreux sans-voix et à travers eux aborde bien des sujets difficiles, la maltraitance des enfants, l’extrémisme religieux, le sexisme, le rejet du handicap et de la différence, l’homophobie, le sort des immigrants, la pauvreté et l’esclavage sexuel.



Portait aussi sans concession de la Turquie et d’Istanbul, la ville où finissent par aboutir tous les mécontents et les rêveurs

« Dans un pays où la justice arrivait souvent tard, quand elle arrivait, nombre de citoyens se vengeaient tout seuls, répondant aux coups par des coups encore plus violents. Deux yeux pour un œil, pour une dent toute la mâchoire. »



Les dernières pages racontées à partir de l’ultime lieu de repos de Leila, sont d’une grande beauté.

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10 minutes et 38 secondes dans ce monde étrange

Ce livre est une invitation aux voyages. Dans un premier temps, on voyage entre le passé et le présent à travers la vie de Leila mais également à travers celle de ses amis qui sont tous brisés par le destin. Tout au long de ce livre, l’auteure décortique la vie particulière de Leila depuis sa petite enfance jusqu’à son dernier souffle dans une benne à ordures. On assiste, médusés, au choix du père de famille de ne jamais révéler qui est la mère biologique de Leila ; on sent la colère monter lorsqu’un oncle fait passer Leila pour une vile tentatrice le poussant à se glisser dans son lit durant de nombreuses nuits…



Le second voyage que l’on effectue en lisant ce livre est une immersion totale dans la ville d’Istanbul, dans une ville à la toute-puissance, à la beauté trompeuse et cette société qui soumet les femmes à de dures épreuves, les laissant à la merci d’un père, d’un mari, d’un oncle ou bien encore de la religion.



Mais le sujet de fond de ce livre, c’est l’amitié, l’amitié contre vents et marrées. L’auteure démontre de façon magistrale que les liens du coeur sont parfois plus solides et plus sains que les liens du sang. Ici, c’est une ode au soutien, à l’entraide que nous livre Elif Shafak, Leila et ses amis sont toujours unis et présents les uns pour les autres même s’ils ne sont pas forcément d’accord sur la vision que peut avoir l’un ou l’autre sur la vie, l’amour, les liens familiaux…



Bref, ce roman a tout pour plaire. Une histoire captivante, dure par moment et qui montre que la religion et le progrès ne sont souvent pas compatibles ; des personnages torturés, qu’on a tenté de déshumaniser ; une très belle écriture qui rend vivants chaque histoire de vie et chaque environnement décrit.



Mais… il y a un gros mais pour ma part, je suis incapable de vous dire si j’ai aimé ou au contraire si j’ai détesté ce livre. En vérité, je n’ai ressenti aucune émotion particulière. Je ne sais pas dire pourquoi mais pour moi il manquait quelque chose. Serait-ce car je ne suis pas fan des allers-retours permanents entre passé et présent ? Ou bien encore parce que je ne connais pas la ville grisante d’Istanbul ? Bref, c’est un loupé pour moi…
Lien : https://ogrimoire.com/2020/0..
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10 minutes et 38 secondes dans ce monde étrange

On dit communément que notre vie défile en accéléré au moment du décès, dans cet entre-deux-mondes où le corps cède mais où l’esprit s’accroche en derniers flashs électriques.



Tequila Leila est morte, son corps martyrisé jeté dans une poubelle d’Istanbul.



L’astucieux montage narratif d’Elif Shafak la ressuscite par ces petites minutes où son enfance et sa destinée de femme devenue travailleuse du sexe nous sont racontées. Des réminiscences qui font apparaître peu à peu un personnage solaire, une belle âme subissant la cruauté de la société turque, l’obscurantisme et le patriarcat dans les familles, la brutalité des hommes. Une femme déterminée et courageuse qui a su s’entourer d’une nouvelle famille aimante, recomposée d’individus ostracisés: transsexuel, prostituée, chanteuse de bastringue...

Des indésirables qui vont braver les interdits pour donner sépulture respectable à une amie très chère et très regrettée.



Ce roman accroche l’intérêt et le cœur dès les premières pages. La narration est soutenue par une belle force romanesque, une histoire de vie implacable et désespérante éclaircie par les rencontres. Au travers des parcours, dans la peine et la douleur, d’individus attachants et décalés résonnent une bienveillance et une compassion envers autrui, mais aussi une dénonciation d’un système social écrasant.



Carton rouge pour les autorités turques qui ont décidé d’enquêter sur Elif Shafak pour obscénité, alors que son dernier roman pétri d’humanité est en passe d’être un succès d’édition*. La romancière avait déjà été dans le collimateur de l’Etat pour avoir reconnu le génocide arménien dans son roman La batarde d’Istanbul (2006)



*(sources: theguardian.com)

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Richard II - William Shakespeare

Difficile de trouver une étude en français sur la seule pièce de Richard II qui ne relève pas d'un programme dédié aux étudiants. Par défaut, je me suis donc rabattu sur cet ouvrage destiné aux anglicistes passant le CAPES et/ou l'agrégation en 2004.



Une analyse intéressante, qui commence de façon assez originale en replaçant l'intérêt qu'on a porté à la pièce dans le temps, et particulièrement en Allemagne (le chapitre I s'intitulant "Un héros allemand"), puis comment elle fut à telle et telle époque perçue et critiquée. Arrive ensuite un chapitre sur les sources historiques, dont on ne saurait évidemment se passer ; il est d'ailleurs à noter que Dominique Goy-Blanquet ne se contente pas de parler des Chroniques de Holinshed, loin de là. Suit un autre chapitre qui fait le point sur le véritable Richard II. Puis vient l'analyse proprement dite des motifs, de la symbolique ("Le miroir tragique", "Le roi divin", "La métaphore royale"), Dominique Goy-Blanquet donnant une interprétation de la pièce, non pas selon des critères personnels, mais en se rapportant à celles de différents critiques, y compris anciens, qui sont connus pour leur étude approfondie du sujet, mais aussi en se rapportant à la culture élisabéthaine et aux sources historiques. C'est là que les choses se corsent, car il est parfois difficile de démêler si le Richard II dont elle parle est celui de Shakespeare ou le roi véridique.



Les informations sont nombreuses, très nombreuses, on serait même tenté de dire qu'on croule dessous, et les sources citées, même si elles sont dans un premier temps présentées de façon développée, ont beau revenir régulièrement, on s'y perd un peu. Un exemple : parmi les potentielles sources historiques de la pièce se trouve un poème publié en 1595 écrit par un certain Samuel Daniel, dont personnellement je n'avais jamais entendu parler. Déjà, il se trouve qu'on prend connaissance de l'existence de ce texte dans le chapitre sur la critique, et non sur les sources ; ce qui est somme toute logique, mais nous perd un peu si on veut retrouver la référence en revenant en arrière. Ensuite, Dominique Goy-Blanquet fait référence à Samuel Daniel et à son texte de façon récurrente en nommant l'auteur sous son seul nom de famille, et par conséquent, pendant un moment, faute d'avoir tout assimilé d'un coup d'un seul (car mes neurones avaient déjà fonctionné à un régime inhabituel), j'en venais à me demander : "Mais qui est ce fameux Daniel ?" Ça m'est heureusement revenu en cours de route, mais il est bien embêtant pour toutes les personnes non dotées d'une mémoire eidétique, c'est-à-dire à peu près tout le monde, qu'on ne puisse pas retrouver Samuel Daniel dans la bibliographie. Et ce n'est qu'un exemple parmi d'autres. On peut regretter aussi quelques répétitions, notamment concernant tout ce qui a trait à la symbolique royale. le chapitre final sur les personnages paraît particulièrement redondant, puisque les personnages les plus étudiés l'ont déjà été largement (Richard, Gaunt), alors que d'autres attendent encore d'être suffisamment cernés, comme... Bolingbroke (qui va devenir Henry IV, je dis ça, je dis rien).



Dominique Goy-Blanquet maîtrise son sujet, ça je n'en doute pas un instant. Mais quant à se mettre à la portée des étudiants passant le CAPES, j'ai des doutes. C'est vraiment un ouvrage à la fois érudit, trop érudit à mon avis pour le public visé (il faut voir tout ce qu'elle conseille de lire aux étudiants !), et très synthétique, donc trop synthétique, évidemment, pour des spécialistes qui, eux, iront bien entendu du côté d'études bien plus approfondies. Si bien qu'elle me semble manquer son but.



Cela dit, si l'on est curieux de lire une analyse sur la pièce Richard II, une fois qu'on est habitué aux phrases commençant en français, continuant en anglais (citations obligent), puis se terminant à nouveau en français, qu'on s'est fait aux vieilles graphies anglaises, une fois qu'on s'est dit qu'on ne retiendrait pas tout en une fois, et malgré les fausses digressions historiques - l'auteure emprunte parfois des détours pertinents mais plein de tortueux méandres pour expliquer telle ou telle symbolique -, on peut retirer de cet ouvrage pas mal de choses, dont une mine d'informations historiques. Et une analyse littéraire qui se tient. Mais il faudrait presque le lire deux fois pour bien l'appréhender ; or on serait plutôt tenté, au sortir de cette lecture, d'aller chercher de plus verts pâturages. Encore faut-il les trouver.







Challenge Théâtre 2018-2019
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10 minutes et 38 secondes dans ce monde étrange

Je vous propose de la littérature turque avec le nouveau roman d’Elif Shafak « 10 minutes et 38 secondes dans ce monde étrange » publié aux éditions Flammarion qui nous parle de la mort biologique.

La première de couverture est une composition florale joliment ajustée avec le titre. Ce contraste de couleurs avec le nom de l’auteure rajoute un impact sur le visuel.

Elif Shafak est une auteure que j’apprécie tout particulièrement pour sa plume et la puissance de ces récits toujours aussi authentiques, qui divulguent les cultures occidentale et orientale avec justesse.

À travers la mort biologique de Tequila Leila, ce roman relate des évènements historiques en Turquie, expose le quartier des prostituées à Istanbul et bien d’autres sujets aussi sensibles comme l’inceste…

10 minutes et 38 secondes dévoilent une enfance amère et douloureuse, retracent une vie brisée. Une histoire qui accuse le passé et condamne le présent tout simplement.

L’atmosphère régnante est assez oppressante avec tous ces extraits d’une existence détruite par une certaine injustice, par une instabilité familiale, par une incompréhension et rejet de la société... toutefois l’écriture fluide de l’auteure rend la lecture agréable.

Une approche émouvante sur l’amitié se déploie constamment dans ce livre, preuve que tout n’est pas totalement perdu.

À part une fin qui tardait à venir... ce roman a tout de même été une belle découverte.


Lien : http://chroniqueuse6.canalbl..
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10 minutes et 38 secondes dans ce monde étrange

Depuis qu'Elif Shafak écrit directement en anglais, ses lecteurs fidèles ont noté un léger changement de style, peut-être également lié aux traductions, mais rien de rédhibitoire ni susceptible de diminuer l'intérêt pour une romancière aujourd'hui considérée comme persona non grata en Turquie. Sa nostalgie d'Istanbul, de sa cuisine de rue par exemple, est palpable dans 10 minutes et 38 secondes dans ce monde étrange, récit éclaté de la vie et la mort d'une fille d'Anatolie devenue prostituée sur les rives du Bosphore. Ombres et lumière sur la ville ottomane, le livre est avant tout un hommage à tous les déclassés de cette ville "liquide et féminine", ces parias qui finissent dans le cimetière des abandonnés, sans pierre tombale à leur nom. Roman épique et un brin chaotique, l'ouvrage commence par ces 10 minutes et 38 secondes pendant lesquelles son héroïne, assassinée, se remémore des instants de son existence à travers des souvenirs olfactifs, de l'enfance à sa vie de femme. Le livre se termine par des épisodes tragico-comiques autour de la tentative de ses meilleurs amis pour lui offrir une sépulture décente. Comme toujours, en bonne alchimiste littéraire, Elif Shafak mélange les genres, à partir du réalisme magique, en passant par le burlesque et le drame. Sans oublier un aspect politique très fort, puisqu'en Turquie tout écrit l'est nécessairement, même si le roman évoque des révoltes du passé, dans les années 70, principalement. Les événements liberticides de l'époque, l'intolérance des autorités et la répression systématique de l'opposition , font évidemment écho à ce qu'il se passe aujourd'hui dans le pays de cœur d'Elif Shafak.
Lien : https://cin-phile-m-----tait..
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10 minutes et 38 secondes dans ce monde étrange

Tequila Leila est une prostituée retrouvée morte un matin dans une benne à ordure. Pendant que son corps refroidit, son esprit s'évade et revient, minute après minute, sur les souvenirs de moments de sa vie, sans ordre ni chronologie, souvenirs d'enfance, de famille, d'amitiés, de goûts, d'odeurs. Le compte à rebours des 10 minutes et 38 secondes s'écoule peu à peu. En revenant sur son histoire, nous lisons surtout celle d'Istanbul et de la Turquie depuis la fin des années 1950. La profession de Leila n'est qu'anecdotique. L'essentiel de sa vie repose sur ses cinq amis, tous très différents mais qui sont unis par elle et pour elle. Le roman emprunte des chemins détournés pour nous raconter l'histoire d'une femme, de ses réussites et de ses échecs, de son destin à la fois banal, trivial, et hors normes. Même en connaissant l'issue, on cherche à comprendre la vie de Leila et on la suit dans les ruelles de la ville et les méandres de sa vie. J'ai apprécié l'absence de parti-pris narratif, l'originalité qui ne va pourtant pas de soi car la lecture n'est pas du tout ce à quoi on pourrait s'attendre et c'est agréable de s'y laisser surprendre.
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10 minutes et 38 secondes dans ce monde étrange

Le corps d'une femme est découvert dans une benne à ordures; le cadavre est celui de Leïla Tequila, prostituée, brutalement assassinée dans une rue d'Istanbul.

10 minutes et 38 secondes, c'est le temps pendant lequel son esprit va continuer à fonctionner après sa mortbiologique, le temps pour elle de partager quelques souvenirs émouvants et nous raconter son histoire de 1947 à 1990: l'histoire de Leila, jeune femme d'une bonne famille originaire d'Anatolie, devenue prostituée en quittant les siens et arrivant sur les rives du Bosphore.

Dans ce 11ème roman, Elif Shafak, réussit brillamment à nous faire partager le parcours de Leila, sa vie et sa mort tragique, comme dans un conte.

En toile de fond, elle évoque l'histoire de sa Turquie d'origine (l'inauguration en 1973 du pont sur le Bosphore, reliant l'Europe au continent asiatique, ou aussi la répression sanglante d'une manifestation de 1977...).

Elle traite également de thèmes variés qui lui tiennent à coeur (la place de la femme dans la société turque, la place de la famille et des amis, l'égalité entre tous, l'homosexualité, la libération sexuelle dans les années 70, la transformation du pays, la montée de l'islam et la fragilité de la laïcité ...).

On sent que l'auteure aime Istanbul, cette ville incroyable, qu'elle arrive à rendre si réelle, vivante et attachante. La mégalopole ottomane est ici, un personnage à part entière.

A travers les personnages de Leila et ses cinq amis, tels des exclus de la société stambouliote, Shafak nous immerge dans cette cité tentaculaire, au carrefour de l'Orient et l'Occident.

On s'attache à ces personnages, "indésirables", pourtant bien "vivants"grâce à leur magnifique amitié pour la défunte Leila.

J'ai apprécié ce roman, profondément humain, cruel et tendre à la fois.

Une histoire d'amour et d'amitiés, dont on ne sort pas indemne.

Une fois de plus, Shafak réussit à peindre un beau portrait de ces laissés pour compte, relégués aux marges de la société stambouliote.

Pour ne rien gâcher, une magnifique couverture, clin d'oeil aux faïences d'Iznik (pour les connaisseurs).
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10 minutes et 38 secondes dans ce monde étrange

Du feel-good pas trop mal foutu, l’histoire d’une prostituée retrouvée morte dans une benne à ordures d’Istanbul.



L’occasion d’approcher la condition de la femme en Turquie et de donner la voix à celles (et ceux aussi) que l’on entend jamais.



Un livre gentil et bienveillant aux nombreuses ellipses sur les sujets trop glauques, et pour autant sans complaisance tant les non dits sont clairs (un exercice d’équilibrisme assez réussi)
Lien : https://www.noid.ch/10-minut..
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Patrice Chéreau l'intranquille

La première fois que j'ai dévoré "La Reine Margot", j'étais collégienne, en quatrième je crois.

A l'époque j'étais déjà obsessionnelle et je me souviens (mes parents aussi!) de l'espèce de frénésie qui a suivi cette découverte. Il me fallait tout, absolument tout sur la période racontée (romancée) par Alexandre Dumas: biographie des protagonistes, études sur les guerres de religion... Heureusement, mes professeurs d'Histoire de l'époque étaient merveilleux, à égalité avec le documentaliste du cdi.

Curieuse, j'ai vite su que le roman avait été adapté au cinéma et je l'ai réclamé à corps et à cris à mes parents qui ne semblaient pourtant pas hyper motivés à l'idée de me le faire visionner (ils n'avaient pas tort quand on y pense!). TF1 a un soir fini par exaucer mes prières en programmant "La Reine Margot".

Le choc. L'hébétude. Je n'avais jamais rien vu de tel auparavant et j'en suis restée muette de stupeur. Du sang, du sexe, de la violence, des acteurs tellement habités qu'ils en paraissaient presque inquiétants. Je me suis sentie heurtée par le film, malmenée. Et en même temps, fascinée, happée. Je ne le savais pas encore, mais je vivais l'un de mes premiers chocs esthétiques.

Ce film, je l'ai apprivoisé, comme on le fait d'une passion brutale, je l'ai vu, revu, disséqué. J'en ai appris toute la somptuosité et j'en ai chéris le jeu de lumière et les décors grandioses. J'y ai deviné l'engagement et les charniers de Sarajevo dissimulés derrière ceux de la nuit de la Saint-Barthélémy. J'ai idolâtré les acteurs et leur jeu, virtuose et possédé, j'ai détaillé leurs gestes, leurs voix... Je me suis repue de la musique de Goran Bregovic et des costumes de Moidel Bickel. "La Reine Margot" est une oeuvre qui ne ressemble à aucune autre. Totale. Entière. Folle. Baroque.



C'est un film de Patrice Chéreau. Patrice Chéreau qui m'a ferré et emprisonné avec sa vision du roman d'Alexandre Dumas.



De "La Reine Margot", je me suis rapprochée de ses autres réalisations, mais elles m'ont déçue à l'époque.

Et puis au lycée, puis à la fac, voici que revient dans la bouche de mes professeurs le nom du réalisateur chéri et je réalise quel homme de théâtre il est. Je découvre sa mise en scène de "Dom Juan" dans une captation un peu miteuse et je suis sonnée, j'étudie vaguement celle de "Platonov", je défaille et je succombe à sa "Phèdre", je pleure et j'hyperventile -enfin- devant "La nuit juste avant les forêts".



Patrice Chéreau était un visionnaire, un travailleur acharné porté par sa passion et ses visions. C'était un grand, un très grand du théâtre français et j'admire infiniment son travail, de ma petite place de spectatrice. Aussi lors de la dernière masse critique, je n'ai pas hésité avant de tenter ma chance pour "Chéreau, l'intranquille", présenté comme une biographie très complète du maître des Amandiers et pour cette fois encore, la chance jouait dans mon camp: je remercie donc chaleureusement Babelio et les éditions Riveneuve pour l'envoi de cet ouvrage.



Je l'ai commencé rapidement mais il m'a fallu finalement pas mal de temps pour le lire et le digérer.

Que celles et ceux qui chercheraient une biographie faisant la part belle à la vie privée de son sujet passent leur chemin. "Chéreau l'intranquille" est davantage une biographie du metteur-en-scène et réalisateur que celle de l'homme. Bien entendu, l'un ne va pas sans l'autre et la vie personnelle de Chéreau se trouve parfois évoquée dans le livre mais ce dernier prend le parti -et c'est à mon sens le parti le plus intéressant qui pouvait être pris- de se concentrer sur l'artiste, en retraçant son parcours atypique, ses choix; en nous mettant face aux créations de Chéreau, à ses sources d'inspiration, ses idéaux ou sa notion de l'esthétique. C'est passionnant et riche, très riche si bien que je me suis sentie parfois toute petite et qu'il m'a fallu me replonger dans quelques textes sur le théâtre pour que l'ouvrage prenne son sens. Cela dit, j'aime quand un livre me sort un peu de ma zone de confort et m'oblige à aller toujours plus loin! de plus, l'écriture de Dominique Goy-Blanquet est très agréable à lire, tout comme les textes de Peduzzi et Regnault. Ces derniers qui signent la préface puis la postface du livre étaient des proches de Chéreau, ce qui montre à quel point le travail de Goy-Blanquet est sérieux, pointu, érudit. Spécialiste de Shakespeare, cette dernière a d'ailleurs choisi de revenir sur l'oeuvre de Chéreau à travers ce prisme là. C'est à la fois un bel hommage rendu à Chéreau que les pièces de Shakespeare passionnaient et un axe d'étude novateur et pertinent.



Je sors donc véritablement ravie de cette lecture qui met en lumière le travail d'un artiste que j'adore et qui m'a permis de comprendre davantage encore son oeuvre et sa vision du théâtre, riche, essentielle... J'ai à présent des envies de redécouvertes, c'est toujours bon signe!



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Patrice Chéreau l'intranquille

Reçu dans le cadre du Masse Critique Non Fiction de février 2021 je me réjouissais de lire ce livre, biographie d'un metteur en scène que j'admire. Pourtant le début de lecture en fut laborieux. En 10 jours tout juste 75 pages lues et la lutte pour ne pas abandonner. Cas de conscience pour moi : impossible de ne pas chroniquer un livre reçu dans ce cadre, par respect pour Babelio et pour l'éditeur, mais voyant le rythme de ma lecture comment réussir à le lire dans les délais de l'exercice ? le fait d'exposer ce cas de conscience à Babelio m'a en fait permis de passer le cap. Avant même de recevoir les encouragements de Nicolas je me suis replongée dans ma lecture, sauté quelques pages et là, le déclic.



Pour tout vous dire c'est le 1er chapitre sur les années de formation puis la moitié du deuxième chapitre qui m'ont paru assez arides. Les débuts de Patrice Chéreau y sont exposés à la vitesse d'un cheval au galop. Les noms, les références sont lâchés dans une succession si rapide que la passionnée de théâtre que je suis était perdue.

Puis arrive le moment est abordé son parcours professionnel, ses débuts au TNP à Villeurbanne, la mise en scène de Richard II. Et là on commence à dérouler le portrait d'un Chéreau génie précoce du théâtre, défenseur dans la lignée de Jean Vilar, d'un théâtre populaire au sens noble, un théâtre de réflexion, social et politique, tourné vers la création, une vision moderne qu'il pourra mettre en oeuvre réellement lorsqu'il prendra la direction des Amandiers à Nanterre.



Dominique Goy-Blanquet décortique le refus de Chéreau d'un théâtre "archéologique" ou "fossilisé", elle décrit comment ses choix se portent sur des textes qui montrent un monde qui bascule. C'est ainsi que, se basant sur les nombreuses notes laissées par Patrice Chéreau sur ses mises en scène, mais également sur ses interviews et sur les recherches et analyses d'autres spécialistes, l'auteur livre une savante analyse de l'oeuvre du génial dramaturge par le prisme shakespearien, tout en comparant sa vision à celle des autres auteurs et metteurs en scène de son époque (Vincent, Artaud, Genet, Koltès, Planchon, etc.)



L'écriture est technique (parfois trop, même pour un spectateur assidu), rapide (trop au début). Les réflexions, les exemples, les enchantements n'apparaissent pas toujours logiquement pour le lecteur, rendant la lecture parfois aride et ardue. Il y a aussi des répétitions d'un chapitre à un autre. Mais lorsque l'auteure détaille et analyse les différentes mises en scène de Chéreau, que ce soit pour le théâtre, l'opéra ou le cinéma, on est plongé au coeur de la création artistique et d'une remise en cause de la manière de mettre en scène, de s'emparer d'un texte, de travailler avec les auteurs et avec les comédiens. Grâce aux mentions de l'accueil par la critique du travail de Patrice Chéreau on voit bien comme chaque époque, chaque décennie à ses artistes qui perturbent l'ordre établi par leur vision différente et non conformiste. Chéreau définissait son théâtre comme un "art de l'allégorie". Sous ce prisme, ce postulat l'auteure, spécialiste de Shakespeare, relie les mises en scène de Chéreau à l'oeuvre du barde. Mais chercher (et trouver) Shakespeare dans le théâtre (et le cinéma) de Chéreau n'est-ce pas faire le constat de la constante modernité et universalité du dramaturge britannique ?



Une fois passé le cap mentionné au début de cette chronique j'ai avancé rapidement dans ma lecture. J'ai alors apprécié cette biographie axée sur la technique d'un metteur en scène de génie, sur son travail préparatoire, sa façon de diriger les acteurs, d'approcher le texte (intéressante comparaison entre deux traductions d'Hamlet), au théâtre comme au cinéma. J'ai ressenti l'envie de creuser, voir ou revoir des images, des extraits, des captations des spectacles cités, regretté qu'il n'y en ait pas plus, regretté de ne pas les avoir vus dans une salle. J'avais une place pour voir son "Comme il vous plaira" programmé aux Ateliers Berthier / Odéon pour le 450e anniversaire de Shakespeare. le destin et le cancer qui rongeait Patrice Chéreau en ont décidé autrement.



L'analyse se termine sur les successeurs de Chéreau (Ostermeier, van Hove), et la marque qu'il a laissée sur ceux et celles avec qui il a travaillé, notamment ceux de l'aventure l'école de formation du Théâtre des Amandiers de Nanterre (sur ce sujet je vous recommande le très beau "Les enfants de Chéreau" de Marc Citti).



Avec ce livre Je me suis replongée dans ce cadeau que l'on m'a fait d'un très beau livre sur les décors de Richard Peduzzi.



Et tout cela m'a rappelé combien le théâtre me manque depuis un an.



Merci à Babelio et aux Editions Riveneuve / Archimbaud pour la possibilité qui m'a été donnée d'avoir cette vision du travail d'un des plus grands metteurs en scène que nous ayons eu la chance d'avoir en France.

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Lettres à Shakespeare

Qui êtes-vous Monsieur William Shakespeare ?

Sur la très belle couverture rouge électrique de cet essai édité en l'honneur du 450ème anniversaire de votre naissance, votre portrait est celui d'une "star", visage indéchiffrable caché par des lunettes. Voyez-vous nos rêves à travers les siècles ?



Lettres à Shakespeare est une très belle entreprise collégiale d'intellectuels réunie par D. Goy-Blanquet pour clamer leur affection et leur reconnaissance professionnelle à ce grand auteur classique. La formule inédite et très accessible réside dans des lettres contemporaines écrites par 16 auteurs, tous passionnés. Nul doute, l'oeuvre de William Shakespeare inspirée par l'Histoire de l'Angleterre et ses jeux de pouvoirs est encore bien vivante de nos jours. Dans la création littéraire (l'Oulipo) et l'expression théâtrale. Et au plus intime de nos expériences humaines quand résonnent en nous les émotions, les perceptions et les idées d'un texte.

Je me suis attachée au mystère qui entoure la personnalité de ce grand homme, "Un et Multiple", à la fois tous ses personnages et aucun.

Je me suis attardée sur les passages soulignant son écriture singulière, faisant souvent appel à l'inconscient, empirique et improvisée. (Hamlet).

Un jeu constant des contraires, des métamorphoses, des passages de haut en bas d'une noble pensée à l'action la plus vile.

Je me suis laissée guidée avec plaisir dans le "théâtre du Globe" à Londres où le décor minimaliste est uniquement rempli par la parole, le son de la voix, le langage métaphorique et, ... le silence, moteur essentiel.

Une poésie musicale de langue anglaise qui pour certains ne peut être traduite sans la dénaturer comme le célèbre "We few, we happy few, we band of brothers.."(Henry V)" repris tel que par Churchill en 1940.

J'ai admiré le fait que le travail de Shakespeare formaient les futurs juristes où les "Inns of Courts" puisaient matière à des cas d'espèce souvent très proches de la réalité.

En France, je me suis attardée sur l'adaptation très libre de Shakespeare par le regretté Patrice Chéreau qui en 1970 avait emprunté les arts contemporains du cirque et du music hall.

De même, la mise en scène spectaculaire de Ariane Mnouchkine de "Richard II" par le jeu du kabuki (masques, maquillages) au Théâtre du Soleil, dix ans plus tard.



Je ne peux terminer mon texte sans citer la très belle trouvaille poétique de Prospero (Les sonnets, la tempête) "Our little life is rounded with a sleep".



Un très grand merci aux éditions Thierry Marchaisse, partenaires de la célébration "Shakespeare 450" et aux auteurs de cet essai très formateur.



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10 minutes et 38 secondes dans ce monde étrange

Un livre difficile à noter pour moi car si la première partie "l'esprit" m'a emballée, le seconde "le corps" m'a terriblement ennuyée. En fait, c'est comme si ces 2 parties avaient été écrites par des auteures différentes.



L'esprit: c'est l'esprit de notre héroïne, Leila, retrouvée morte dans une benne à ordures. L'esprit de Leila continue de fonctionner précisément 10 minutes et 38 secondes suite à son décès et nous emmène, de sa naissance à sa mort, au fil de ses souvenirs. J'ai beaucoup aimé ces flash back, très bien amenés. Les liens avec les odeurs. Son enfance auprès de cette famille aux nombreux secrets, aux nombreux abus. J'ai moins aimé les 5 chapitres de 2-3 pages dédiés aux 5 amis de Leila (un peu courts pour s'y attacher, un peu longs pour les ignorer).



Le corps

La seconde partie est complétement différente. Il s'agit d'une sorte de rocambolesque périple mené par ses 5 amis. Je me suis vraiment ennuyée dans cette partie, en fait, je ne vois même pas ce qu'elle est venue faire là, je trouve qu'elle gâche cette très belle première partie. Idem pour l'écriture, que j'ai beaucoup appréciée dans la première partie, mais alors dans la seconde... les descriptions des actions de chacun des 5 amis à chaque moment de leur périple (l'ami no 1 qui conduit, le no 2 qui s'assied à l'arrière, le no 3 qui perd sa pioche, le no 4 qui picole, le no 5 qui pleure... et rebelotte pour l'action suivante), pas compris du tout.



Quoi qu'il en soit, je retenterai volontiers une lecture de cette auteure, Elif Shafak, car j'ai trouvé l'idée de ce roman excellente, ainsi que son écriture dans la première partie.



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10 minutes et 38 secondes dans ce monde étrange

Deuxième lecture pour moi de cette auteure et deuxième réussite. Elif Shafak s'intéresse à des thèmes qui me tiennent à cœur : destins de femme, sort des laissés-pour-compte, aperçu de la grande histoire à travers celle de ses personnages.



Ici, elle nous retrace la vie de Leila qui est découverte assassinée au début du roman. J'ai été très touchée par Leila qui a connu des événements profondément injustes, et par le parcours qui a été le sien. Cette jeune fille devenue prostituée et reniée par sa famille va se forger sa propre famille avec cinq amis de cœur. Elle a une force de caractère incroyable et une gentillesse immense, toujours prête à aider son prochain, malgré les vicissitudes de la vie.



Elif Shafak rend ici un bel hommage à l'amitié, celle sans laquelle nous ne sommes rien.



Mais l'auteure dénonce également dans son roman : elle dénonce la structure de certaines familles (plusieurs femmes), les secrets profondément enfouis, le désir de garder une certaine harmonie au sein de la famille ce qui signifie ici cacher un fait grave. J'ai été bouleversée par Leila qui a eu le courage de dire à ses parents ce qui lui est arrivé mais propos dont on n'a pas tenu compte.

Elif Shafak dénonce également le massacre de 1977, les mauvais traitements subis par les prostitués et les travestis, la religion poussée à l'extrême.



Les personnages haut en couleurs étaient très attachants et c'est finalement un réconfort de se dire que Leila avait su bien s'entourer et remplir sa vie de petites joies. Je dois avouer avoir lu certains passages en riant, malgré la gravité du sujet.



J'ai été étonné de découvrir l'existence de ce cimetière des Abandonnés de Kilyos, près d'Istanbul. Quelle tristesse....

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