Pour commencer, j’ai beaucoup aimé l’idée de base du roman, cette reconstitution de l’histoire d’une personne et de sa famille à partir d’objets personnels. La reconstitution faite par Trevor est d’abord minutieuse, « scientifique », il scanne certains objets et les décrits dans des lettres adressées à un certain « Monsieur ». Mais il se laisse emporter peu à peu et commence à imaginer des choses, des dialogues, des évènements. La frontière entre la « réalité historique » et l’imaginaire est de plus en plus floue et le lecteur lui-même ne sait plus vraiment où il en est, c’est assez réussi.
La Première Guerre Mondiale a un rôle assez important dans cette histoire, elle en est en quelque sorte la toile de fond. L’auteur a bien su retranscrire la dureté de l’hiver dans les tranchées, ainsi que la dureté des combats avec l’utilisation pour la première fois d’armes lourdes dans un conflit. Mais mis à part l’évocation de ce conflit, la dimension historique reste finalement assez peu présente. Le roman nous donne néanmoins une bonne idée de ce que pouvait être une vie de femme dans les années 1920, cantonnée au foyer et aux tâches ménagères.
Le personnage de Louise est intéressant, c’est une femme moderne avant l’heure. Elle n’a pas la foi, n’hésitant pas à blasphémer à l’occasion ou à faire de fausses confessions au curé ! Mais c’est surtout une femme passionnée, qui rêve d’une vie intense alors qu’elle s’ennuie dans la sienne, privée même du bonheur d’avoir un enfant. Mais si j’ai aimé la regarder évoluer, je ne me suis pas vraiment attachée à elle. Il y a aussi quelques personnages secondaires attachants comme la jeune Garance à qui elle donne des cours de piano, et d’autres intrigants comme Xavier, son voisin.
Quant aux personnages du présent, Trevor et la secrétaire de l’université, ils manquent cruellement de corps et d’épaisseur. Ils sont délaissés par l’auteur, et le lecteur ne peut ni les connaître ni s’y attacher. Et c’est bien là mon principal regret avec ce roman : on se concentre sur le passé jusqu’à en oublier la « vraie vie », celle de Trevor et Josiane. J’aurais aimé que le présent soit plus approfondi, que le lien entre le passé et le présent soit beaucoup plus exploité qu’il ne l’est.
L’écriture d’Elena Mauli Shapiro est agréable, on se laisse porter par ses mots. Elle alterne les modes narratifs en introduisant un certain nombre de lettres dans son récit, ce que j’ai apprécié. Elle se montre également douée pour raconter les passions qui animent Louise, et pour écrire quelques scènes érotiques bien menées qui émaillent le roman. Le vocabulaire est bien choisi, je n’ai rien relevé qui soit anachronique ou déplacé.
J’ai donc aimé l’expérience originale de lecture que j’ai vécue avec ce roman, appréciant le principe de la reconstitution historique. J’ai également apprécié ce personnage de femme prisonnière d’une condition qui ne lui plaît pas. Je regrette néanmoins que le présent soit délaissé, que le personnage de Trevor ne soit qu’un prétexte pour raconter l’histoire de Louise.
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