Enguerrand Guépy

Six fois on lui avait promis la statuette dégoulinante de narcissisme frelaté et six fois, il était reparti bredouille, vilain petit canard de la profession.

Il faut apprendre le bonheur. Dans tous les couples, il y a des hauts et des bas. C’est comme ça. Il ne faut pas s’en faire. On s’en fait toujours trop. Mais cette fois, tu seras fière comme jamais. Oh oui, cela n’aura rien à voir avec mes rôles précédents. Fini le temps où je pleurniche sur un quai de gare ainsi que les histoires tordues où je me tape ma belle-fille. Un héros sympathique et populaire, en l’occurrence. Un mec fédérateur, ma princesse. Un mec lumineux. »

[Patrick Dewaere] n'avait jamais apprécié d'être un représentant des forces de l'ordre. Il avait des réserves morales quant à la police et la magistrature. Il estimait cela douteux de passer son temps à incarner des pauvres types qui veulent mettre en cage d'autres pauvres types. En France, qui plus est, on ne savait pas composer les flics. Depuis cinquante ans, c'était toujours le même flic, qu'il soit joué par Gabin, Ventura, Belmondo, Delon ou Trintignant. Toujours la même recette, une originalité au point mort, un flic bien viril, ni trop bête ni trop méchant, presque un animal de compagnie. Pour lui, le flic, c'était avant tout un travailleur précaire que personne n'aime, un gars qui fait le sale boulot avec un flingue au ceinturon et qui, tous les mois, a des factures à payer et des mômes à torcher.
(p. 11-12)

[Dewaere] se souvient d'un tournage avec « le gros » [Depardieu] où il n'était question que de Mozart. Oui, Mozart, puis s'ensuivait la tournée des bars jusqu'au bout de la nuit. A cette époque, ils n'étaient pas encore des rivaux. Ils pouvaient trinquer de concert sans se regarder par en dessous, ivres de jalousie et de ressentiment. Ils faisaient les 400 coups, emmerdaient les notables de province, crachaient sur les producteurs en vogue, croyaient en leur impunité, se refilaient les filles...
« The good old time », grommelle-t-il dans une bouffée de nostalgie. Dire que « le gros » bégayait encore, suintait son Châteauroux par tous les pores et n'avait dans sa palette que ce déhanchement de marlou tendance Zizi Jeanmaire ! Etonnant comme le destin avait tourné et récompensé cette bourrique crasseuse et quasi analphabète. Et pourtant, il n'y avait rien de bien surprenant là-dedans. La bourrique crasseuse et quasi analphabète avait toujours obéi à un plan de carrière, alors que lui...
(p. 48-49)

Il (Claude Lelouch) a entre les mains la plus belle machine à produire des émotions que l'on n'ait vue depuis l'après-guerre

Quand il avait vu Mich' [Coluche] faire de la politique, il avait tiqué. Il s'était dit que cela ne tournait plus rond. Eux, de la politique comme des vrais hommes politiques ? C'est-à-dire, comme des professionnels de la chose politique ? Des hommes qui seraient devenus membres d'un parti et défenseurs d'un programme afin d'obtenir le suffrage de l'ensemble des citoyens ? Bien entendu, son camarade lui avait juré que tout cela n'était fait que pour rire, pour montrer le ridicule de tout ce barnum dont on nous rebattait les oreilles tous les sept ans. Il n'empêche, il y avait là quelque chose qui clochait. L'idée même d'avoir pensé se présenter était spécieuse. On ne faisait pas le même métier. [...] Alors quand le bon poteau avait commencé à se prendre réellement au sérieux, à se dire - après tout - qu'il n'était pas plus illégitime que les connards dont c'était le business, nous avions compris qu'il avait franchi la ligne jaune, qu'il était cuit et n'en avait plus pour très longtemps.
(p. 102-104)
[voir le film 'Coluche, l'histoire d'un mec' - Antoine de Caunes, 2007]

La star est une plaie vivante, un écorché vif, un homme dont on ne sait comment atténuer la souffrance. Elle se sent prise au piège d’une situation inextricable. Elle a conscience qu’elle n’aura jamais la force de le porter, qu’il est beaucoup trop lourd pour elle, qu’il a besoin d’un traitement de choc et d’une infirmière à temps plein. Et puis, elle a aussi le droit qu’on s’occupe d’elle.

[...] par principe, il avait horreur de s'imaginer ce que serait son futur une fois en couple. Ses compagnes successives n'avaient cessé de lui reprocher ce trait de caractère. A un moment de la relation, il faut tracer un cap et s'affranchir des mirages de la passion. En règle générale, il hochait la tête, se promettait d'y réfléchir mais passait très vite à autre chose, persuadé que tout cela n'était que des histoires de bonnes femmes. Quelques jours plus tard, immanquablement, cette question revenait sur le tapis. Bien entendu, il n'avait pas progressé d'un iota. Il restait mutique tandis que le flot de reproches commençait à s'abattre sur son triste front de général en chef inopérant. Pris au piège, il finissait par s'énerver et ce qui, au départ, était une belle histoire, se transformait en une affreuse guerre de tranchées que venait conclure un tournage salvateur, le billet d'avion ou de train faisant office d'acte de séparation. Avec elle, c'est différent. Elle n'est pas plus douée que lui pour l'élaboration des grands plans quinquennaux. Cela évite la perspective de la guerre d'usure une fois la période d'essai accomplie.
(p. 76-77)

"Mais il (Patrick Dewaere) n'était plus pour l'amour libre. D'ailleurs, il n'avait jamais été pour l'amour libre, ou seulement lorsque c'était lui qui était libre dans l'amour libre." (p.119)

[...] il avait sympathisé avec Renaud lors d'une fête improvisée à Belle-Ile-en-Mer. A l'époque, Renaud n'était rien d'autre qu'un petit blondinet ridicule, mais joyeusement ridicule au point de l'avoir fait rigoler toute la soirée tandis qu'il débitait avec un aplomb déconcertant ses conneries de parigot révolutionnaire.
(p. 100)