Rimbaud qui n’avait presque pas été au théâtre, ni reçu aucun enseignement de la diction, lisait ses vers sans emphase et sans éclats de voix, avec quelque chose de convulsif, ainsi qu’un enfant qui raconte un gros chagrin, et dans une sorte de hâte : avide, pressé de revivre tout cela.
Sa voix nerveuse, encore enfantine, rendait naturellement la vibration et la puissance des mots. Il disait comme il sentait, comme s’était venu, comme en un jaillissement précipité de sensations violentes.
Je ne reconnus d’abord que ses yeux extraordinairement beaux ! A l’iris bleu clair entouré d’un anneau plus foncé, couleur pervenche. Les joues autrefois rondes s’étaient creusées, équarries, durcies. La fraiche carnation d’enfant anglais qu’il conserva longtemps avait fait place au teint sombre d’un kabyle.
Il allait avoir vingt-cinq ans. Sa voix perdant le timbre nerveux, quelque peu enfantin que j’avais connu jusqu'alors, était devenue grave, profonde, imprégnée d’énergie calme.
Le soir, après diner, je me risquais à lui demander s’il pensait toujours à la littérature. Il eut alors, en secouant la tête, un petit rire mi-amusé, mi-agacé, comme si je lui eusse dit : "Est-ce que tu joues encore au cerceau ?" et répondit simplement : "Je ne m’occupe plus de çà".
Cet hiver, dans les Ardennes, lui est très pénible, il ne supporte plus le froid.