Tout homme est double plus ou moins — homo duplex — et cette dualité est surtout sensible chez les grands artistes, poètes, orateurs, peintres, sculpteurs, musiciens, précisément parce qu'ils sont les plus impressionnables. L'émotion, la passion, les transfigurent, les élèvent au-dessus d'eux-mêmes. Leur sensibilité, qui vibre au moindre choc, communique à leur imagination cet ébranlement et les jette dans un état de surexcitation, qui double leur puissance intellectuelle et qu'on désigne sous le nom d'inspiration.
La nymphe Coronis. — Apollon est armé d'un carquois dont les flèches sont inévitables : c'est lui qui envoie les pestes cl -les épidémies. Mais c'est aussi lui qui guérit les maladies, et on l'invoque à cette occasion. Le titre de Dieu sauveur et réparateur des maux convient parfaitement au soleil personnifié ; néanmoins la puissance médicale d'Apollon est surtout apparente dans son fils Esculape, qu'il avait eu de la nymphe Coronis. Apollon était fort épris de cette nymphe, mais le corbeau lui ayant rapporté qu'elle en aimait un autre, ce dieu, dans un accès de jalousie, la perça d'une de ses flèches. Il s'en repentit ensuite et changea Coronis (mot qui veut dire corneille) en l'oiseau qui porte ce nom ; puis, pour punir le corbeau de son babillage, il le rendit noir, au lieu de blanc qu'il était auparavant. C'est depuis cette aventure que ces deux oiseaux sont consacrés à Apollon.
Le chaos. — Avant les dieux, l'espace ne présentait qu'une niasse confuse, où les principes de tous les êtres étaient confondus. « Le soleil, dit Ovide, ne prêtait point encore sa lumière au monde, la lune n'était point sujette à ses vicissitudes ; la terre ne se trouvait point suspendue au milieu des airs où elle se soutient par son propre poids ; la mer n'avait point de rivages ; l'eau et l'air se trouvaient mêlés avec la terre qui n'avait point de solidité ; l'eau n'était pas fluide, l'air manquait de lumière et tout était confondu. Aucun corps n'avait la forme qu'il devait avoir et tous ensemble se faisaient obstacle les uns aux autres... Dieu plaça chaque corps dans le lieu qu'il devait occuper, et établit les lois qui devaient en former l'union. Le feu, qui est le plus léger des éléments, occupa la région la plus élevée, l'air prit au dessous du feu la place qui convenait à sa légèreté ; la terre, malgré sa pesanteur, trouva son équilibre et l'eau qui l'environne fut placée dans le lieu le plus bas. » (Ovide.)
Voltaire, qui avait l'amour et le génie de la clarté, recommandait avant tout de définir les termes. On ne peut espérer de s'entendre dans une discussion que quand on à commencé par convenir bien nettement du sens qu'on attache aux mots, et la plupart du temps cela seul suffit pour supprimer l'objet même de la contestation.
Nous définirons donc les termes, et nous allons commencer par celui en qui est renfermé implicitement tout le développement de ce volume, le terme Religion.
La définition la plus compréhensive et la plus généralement acceptée est celle qui fait de la religion la croyance au surnaturel. C'est celle que nous adoptons pour notre compte. Mais elle exige quelques explications préliminaires.
Il n'y a personne qui n'ait lu ou vu un grand nombre de livres édifiants, recommandés aux mères de famille et à la jeunesse des deux sexes, et uniquement faits pour prouver que depuis longtemps , mais surtout depuis 1789, les choses vont de mal en pis, que l'humanité est en décadence et que la fin des temps est proche. Chaque siècle a eu, comme le nôtre, ses prophètes de malheur, et il ne semble pas que leur race soit près de s'éteindre. Ils se donnent pour mission spéciale d'exalter le passé aux dépens du présent. Toujours mécontents des vivants , ils n'ont d'amour que pour les morts. Pour eux,
Rien n'est beau que le vieux ; le vieux seul est aimable.
Tous les partis, dans tous les siècles, ont été plus ou moins victimes de la même erreur; c'est cette prétention de ranimer sans cesse des cadavres qui a frappé d'impuissance toutes les restaurations, dans la politique comme dans la religion, dans la philosophie comme dans la littérature. Faut-il donc croire que ce perpétuel retour vers ce qui n'est plus soit une fatalité imposée à l'esprit humain et qu'il soit condamné à une éternelle imitation ? Pour moi, je ne le pense pas. Je n'y vois qu'un effet de l'ignorance où il est de sa véritable nature et de ses réelles destinées.
Est-ce à dire que la liberté de l'art soit, comme disent les philosophes, une liberté d'indifférence, que toute direction lui soit égale et qu'il ne connaisse d'autre loi que l'infinie variété du caprice individuel?
Ce serait une exagération et une erreur. L'artiste, avons-nous dit, vit surtout de la vie du milieu où il est placé ; il en suit naturellement les inspirations.
Aussi, à ces belles époques, l'art était-il vraiment un art national : les esprits, laissés à leur pente naturelle, cherchaient l'art où ils le sentaient, ou plutôt ils le trouvaient sans le chercher, par le mouvement spontané des imaginations, sans autre guide ni autre règle que les instinctives préférences communes à la race tout entière.
C'est cette communauté des instincts livrés à eux-mêmes qui explique les similitudes intimes qui , aux grandes époques , se remarquent entre les œuvres d'art, en même temps que l'effet de la liberté éclate par ce caractère, que rien dans l'art ne supplée : l'originalité individuelle.
Delacroix est un caractère violent, sulfureux, disait Théophile Silvestre, mais plein d'empire sur lui-même ; il se tient en prison dans son éducation d'homme du monde, qui est parfaite.
Silvestre se trompe. 11 a vu l'homme à travers ses tableaux; il a jugé son caractère d'après le choix de ses sujets, ce qui du reste paraît assez raisonnable, mais qui se trouve ici être faux. 11 connaissait Delacroix par des relations de quelques années, mais nous, nous le connaissons mieux que lui, puisque nous avons sa correspondance de toute sa vie.
Raffet, comme tous les maître, est un sujet éternel d'étude. Le catalogue de Giocomelli, la touchante biographie que lui consacra son ami Auguste Bry, les belles publications de MM. Lhomme et Béraldi, l'article de Paul Mantz dans la Gazette des Beaux-Arts, ne sont que le commencement d'une série de travaux que ce puissant et fécond génie ne peut manquer de susciter. L'artiste est aussi attachant que l'oeuvre. Sa vie, dans son mélange de simplicité et de grandeur, a l'attrait du merveilleux.