Citations de Fen-ling Chou (15)
Lu-san disait que ta voix était sublime, et qu'il était dommage que tu t'entêtes à vouloir apprendre le piano, traitant le chant comme un simple amusement. À vrai dire, je me fichais bien que tu sois doué ou non pour le piano, tout ce qui m'importait était de pouvoir contempler la splendeur de ces crépuscules, cette sensation d'être seul immobile dans un coin de la pièce, à écouter les sons épars du piano et de vos discussions ; même les fausses notes recélaient une forme de beauté, tout comme les feuilles d'arbre qui tombaient au dehors.
Sous la lumière blafarde et tremblante des néons suspendus au plafond, les machines à coudre posées sur les tables piaillent sans arrêt, on dirait des bestioles ouvrant grand la bouche pour croquer un doigt, les doigts à chaque coup se replient agilement, reviennent à la charge, esquivent encore, reviennent à nouveau. Les bêtes hochent la tête comme on pile l’ail.
Bien sûr la Titi n’est pas une seule personne. Seulement, chaque fois que le contremaître demande : « Qui reste demain pour faire des heures supplémentaires ? », la Titi à serre-tête lève timidement la main : « Titi OK. » Alors il semble qu’une foule de Titi travaillent dans cette usine de vêtements. Le contremaitre est trop heureux de ne pas avoir à retenir tous les prénoms ; même quand il verse les salaires, il se contente d’appeler les numéros de chacune des machines à coudre, qui sont au nombre de neuf cent trente-cinq : machine n°I, machine n°504n machine n°935, il crie les numéros les uns après les autres et ensuite les Titi entrent à la queue leu leu dans son bureau, par l’entrée de droite de l’usine, pour recevoir leur salaire du mois. L’enveloppe de papier Kraft est lourde de merveilleux espoirs. Mais à l’heure où il faut bien l’ouvrir, le montant est à pleurer de désolation
(Les Titi de Chen Yu-hsuan)
À l'heure où la parole est souvent réduite à son strict minimum (une phrase, un tweet, un post, un court montage vidéo), la parole littéraire, et la fiction en particulier - devenue minoritaire aujourd'hui alors même que la société produit et consomme toujours plus de fictions - semble plus que jamais essentielle.
(Postface de Gwennaël Gaffric)
Quelqu'un qui n'a jamais été de gauche n'a pas eu de jeunesse, mais quelqu'un qui est de gauche passé la cinquantaine est un sacré idéaliste.
("La nuit du repli", Chou Fen-ling)
Dans l’usine de vêtements, on élève un grand nombre de ces bêtes avec lesquelles se bat Titi l’ouvrière.
(Les Titi de Chen Yu-hsuan)
Sous la lumière blafarde et tremblante des néons suspendus au plafond, les machines à coudre posées sur les tables piaillent sans arrêt, on dirait des bestioles ouvrant grand la bouche pour croquer un doigt, les doigts à chaque coup se replient agilement, reviennent à la charge, esquivent encore, reviennent de nouveau. Les bêtes hochent la tête comme on pile l’ail.
(Les Titi de Chen Yu-hsuan)
Sur cette île, personne ne peut se soustraire entièrement à l’emprise de la politique et de l’histoire.
Voilà ce qu’était une révolution, une vraie !
C’était se fondre dans la masse et avoir l’impression de tout pouvoir renverser, même son époque.
Quelqu’un qui n’a jamais été de gauche n’a pas eu de jeunesse, mais quelqu’un qui est toujours de gauche passé la cinquantaine est un sacré idéaliste.
Le monde ne reflète pas ses couleurs, il ne rassemble pas, il ne se construit pas pour un seul œil.
Même obtenir le poste de préposé aux toilettes était impossible. Un soldat sous contrôle idéologique spécial ne pouvait se voir attribuer un travail determiné, d'un tel travail il aurait tiré une tranquillité d'esprit propre à lui donner un surplus d'énergie, ce qui aurait risqué d'engendrer chez lui Dieu sait quelles pensées hétérodoxes.
Taiwan n'a sans doute jamais été un simple conservatoire de ce que la Chine a perdu, ni un laboratoire de ce que la Chine, sans le Parti communiste, aurait pu être. Elle est sans doute plutôt une société en elle-même, distincte et particulière, avec comme matrice culturelle principale mais non unique la culture chinoise, qui n'est ni la première ni la dernière arrivée dans l'île.
(Préface de Stéphane Corcuff)
Cela faisait longtemps qu'il n'avait plus l'âge de servir dans l'armée mais les hommes de sa génération avaient tous une peur bleue de la guerre, préférant de loin à la mort une vie d'humiliation. C'était à cause d'eux que Taïwan était devenu un pays virtuel dont personne ne reconnaissait l'existence et qui survivait à grand peine.
Il ne s'agit pas ici de substituer la littérature à l'histoire, mais nous croyons que la fiction, grâce à sa capacité à s'extraire du déterminisme historique, à déplacer les échelles du temps et de l'espace, à s'intéresser aux trajectoires individuelles telles qu'elles naviguent Le long du courant de l'histoire évenementielle, offre l'occasion de lire une autre histoire, non institutionnelle, plus complexe et ambiguë.
(Postface de Gwennaël Gaffric)