Je suis à un tournant de ma vie. J’ai l’impression de découvrir l’amour avec cette fille, petit con que j’étais empêtré dans mon art gluant, dans mes rames de papier A4. Elle est mon plus beau personnage, celui que je n’ai jamais inventé, jamais écrit, pour qui je ne peux rien décider – c’est ce qui me rend souvent nerveux.
La contention est un traitement thérapeutique d’extrême urgence et elle n’est agréable pour personne Monsieur Dénéria, pas plus pour le patient qui doit la subir que pour le médecin qui doit la prescrire. Mais elle est néanmoins l’un des moyens les plus efficaces de protéger au mieux ceux qui ont perdu le contrôle.
J’étais un homme avant de faire ça.
Un homme à peu près respectable.
Un écrivain.
Je ferme les yeux sur cette image du sang qui a maculé les murs – le seul tableau que je garde en mémoire de la chambre 21 de l’Hôtel Saint-Charles. Désormais, la boucle est bouclée. Tout pourrait s’arrêter ici, si je le voulais. Je cesserais simplement de respirer et Marie m’ouvrirait les bras. Je pourrais la serrer contre moi. L’aimer encore une petite fois.
Je suis le mal incandescent, le mal réincarné dirais-je, je n’arrive plus à faire un geste. Ils m’ont passé la camisole, m’ont enfermé, capitonné dans leur saleté de chambre d’isolement qu’on croirait être une saloperie de château gonflable de fête foraine. Et voilà ce que je suis devenu : un meurtrier dans un monde meurtrier, un déséquilibré dans ce grand déséquilibre de l’ordre mondial… Autant dire une aiguille dans une meule de foin.
Je ne veux plus rien avoir à leur prouver mais veux me prouver à moi-même que je peux devenir une femme qui aime. Une femme qui jouit. Les désavouer ne m’empêchera pas de les aimer. Et continuer à les aimer ne m’empêchera pas de les trouver cons à certaines heures.
Nous ne sommes pas toutes assez niaises pour aller nous imaginer qu’il existe à tous les coins de rue un jeune bellâtre multimilliardaire capable de piloter un hélicoptère à 8h30, de faire du parapente à 9h00 puis de se jeter dans son jet privé pour aller baiser une pouliche dans un spa à bains bouillonnants empli de champagne dans une ville au sud des Etats Unis - et lui faire l’amour sept fois de suite grâce à son organe de poney.
Personnellement je me suis fixé des contes de fées plus atteignables : rencontrer un plombier, un boulanger, un ferrailleur ; faire l’amour sur un vieux matelas, un lit de paille, au milieu d’un champ de vignes ou sur le capot d’une Dacia mais … jouir, putain !