Il se leva et éteignit le néon resté allumé depuis la nuit précédente. Il s'arrêta un instant devant la fenêtre et observa la via Fatebenefratelli et son pavé brûlant, son goudron désert, puis ce ciel au- dessus de la ville, un ciel gris, phosphorescent et métallique. Il retourna s 'asseoir.
Il lui vient justement à l'esprit le regard éperdument malin, inutilement malin, de son père. L'enfance voudrait émerger dans une turbine de souvenirs et lui la freine. Ce qu'il considérait comme larmoyant, c'est maintenant l'unique ressource. Un chaud utérus imaginaire, dans lequel se précipiter.
Il désire une hypnose induite, mais pas cette façon d'imposer de l'Affairiste. Hypnose après la mort.
Il balbutie :
- J'ai compris. Qu'est-ce que vous voulez en échange ?
Ils veulent tout.
Ils dévoreront tout.
Ils feront preuve d'une clémence embarrassante, si tu consens à leurs requêtes.
Tu divorceras. Ta vie familiale est détruite, pour commencer.
Sauve l'œuvre. Travaille. Continue à travailler.
Tu as toujours été un misérable mercenaire. L'opérateur du mensonge, du bluff, l'Iscariote quotidien. Tu ne t'es jamais demandé ce qui s'agitait sous ce séisme que tu réglais par salves, au rythme des trahisons et des successions. Ton insupportable froideur, ton omniscience. Un champion du monde d'échecs est-il un petit dieu ? Tu vois, tu es nu et anéanti, les sursauts de la culpabilité commencent. Les faibles se dévorent : l'un l'autre, puis eux-mêmes.
Les pauvres sont des hommes qui baissent la tête sur leur propre estomac et mordent, se dévorent les viscères.
Tandis que les hommes sont occupés à ça, les puissants prospèrent : les peu nombreux.
Tu es hors d'eux. Tu es précipité dans les rangs des pauvres, des faibles. Tu es le pestiféré. Seul l'amour pourrait te sauver, mais c'est justement l'anéantissement de l'amour, auquel tu as opiniâtrement travaillé, qui t'interdit maintenant tout sauvetage.