Citations de Gonzague Masquelier (129)
L'amplification d'un geste
C'est généralement un micro-geste dont, le plus souvent, le client n'a pas conscience.
Gaétan me parle de sa femme avec un grand sourire ; d'accord, elle est parfois très énervante mais elle est si fragile, si douce que Gaétan ne ressent "officiellement que de la tendresse pour elle.
Pourtant son pouce droit laboure sa paume gauche. Adoptant son large sourire, je lui demande de devenir ce pouce et d'amplifier son "labourage".
Après quelques instants d'étonnement, Gaétan fait parler son pouce droit et se découvre une "monstrueuse envie", selon son expression, d'agresser sa compagne. Il lui faudra plusieurs séances pour admettre que sa vie amoureuse est forme de sentiments contradictoires et que son corps parle parfois pour lui.
Pour contribuer à élucider le transfert et le contre-transfert, Perls propose l'attitude de sympathie, c'est-à-dire une implication contrôlée du thérapeute qui s'appuie sur son propre vécu pour accompagner son client. Il la différencie de l'empathie, préconisée par Carl Rogers, qui nécessite l'acceptation inconditionnelle de l'autre pour pouvoir s'identifier à lui et ressentir sa souffrance, et de la posture psychanalytique que Perls appelle l'apathie, c'est-à-dire une attitude de neutralité face au pathos du patient.
Un problème reste néanmoins difficile à trancher ; à quel moment une action doit-elle être considérée comme un passage à l'acte ? Selon la technique utilise, selon le cadre posé, selon le type du thérapeute, selon la qualité de l'alliance thérapeutique, certains agissements peuvent être regardés comme un passage à l'acte ou non.
Pour que cette mise en acte soit utile, il est indispensable qu'elle se crée dans l'ici et maintenant entre le thérapeute et le client. Je veux dire par là qu'elle ne doit jamais être décidée à l'avance, qu'aucune mise en acte ne doit être un passage obligé par lequel tout client devrait passer au cours de sa thérapie. J'insiste sur cette notion car un groupe a naturellement tendance à se donner des "règles de bonne conduite", par exemple à considérer que plus un travail est spectaculaire, meilleur il est.
La mise en acte est une mobilisation corporelle et émotionnelle qui favorise une prise de conscience. Elle permet d'explorer des sentiments méconnus ou refoulés. Comme je l'ai précisé dans le troisième chapitre, ce type de travail suppose trois temps : une approche de la difficulté, une mise en acte, et un temps d'élaboration. La dernière étape est indispensable pour que le client puisse intégrer ce qu'il vient de découvrir, mais peut être différée dans le temps si la charge émotionnelle de la deuxième étape est forte.
Mais ce choix d'une mobilisation holistique en cours de thérapie suppose que le client respecte bien la différence entre un "passage à l'acte" et une "mise en acte".
En stimulant notre imaginaire, en mobilisant notre corps et nos émotions, le monodrame nous permet encore souvent d'explorer une face cachée de notre problématique. La spontanéité et le jeu font tomber nos défenses, ou du moins nous permettent de les contourner. Il s'agit d'une véritable incarnation du Verbe.
Le but n'est pas d'imiter, d'être crédible, mais de se glisser dans la peau d'un autre, pour regarder une même réalité avec d'autres yeux. Ce travail est particulièrement intéressant lorsqu'il y a conflit, par exemple dans un couple ou avec des enfants. En effet, le monodrame permet de jouer son personnage, avec plusieurs facettes de sa personnalité, mais également d'incarner autrui ou de mettre en lumière un sentiment, une peur, etc.
Le monodrame consiste à faire jouer au client un ou plusieurs des personnages concernés par la problématique travaillée.
Je voudrais souligner à nouveau que la Gestalt est principalement une manière d'être, centrée sur le processus que toute focalisation sur les techniques la prive de son originalité.
... un art n'est pas un ensemble de techniques.
La Gestalt est probablement le courant de thérapie qui met le moins en avant une technique, une grille d'analyse, un protocole de travail.
Toutes les formes de thérapie invitent à une recherche de sens. Perls aimait remettre en question tous les dogmes et certitudes. La Gestalt invite probablement se poser d'abord la question fondamentale : quel est le sens de ma vie ? Lorsque cette question commence à s'éclairer, alors survient la seconde ; quel est le sens de la Vie ? Chacun cherche ses réponses, par la philosophie, la spiritualité, l'engagement social, l'amour, etc.
Une fois encore, l'histoire nous claire sur cette notion de déflexion de l'angoisse. Les cités grecques entretenaient avec grand luxe un home, capturé à la guerre. Ce prisonnier avait tous les droits ; se moquer de tous, courtiser les femmes, porter les plus beaux vêtements et se réserver la meilleure nourriture Mais il ne pouvait sortir de la ville. Que survienne l'angoisse dans la vielle, guerre, disette ou épidémie, ce prisonnier, que l'on appelait le pharmakos, était traîné hors des remparts et lapidé par la population, dans l'espoir de détourner le danger. Ainsi le peuple pouvait exorciser sa peur et renforcer sa cohésion. Pharmakon a donné... le pharmacien, c'est-à-dire celui qui possède de quoi nous guérir.
Certains, et c'est la stratégie la plus fréquente, cherchent un bouc émissaire, c'est-à-dire trouver un coupable pour ses propres difficultés et limites Trouver un coupable leur permet de donner une excuse à leur imperfection, c'est-à-dire de défléchir leur angoisse. Le bouc émissaire est dans ce cas une déflexion de leur propre sentiment de culpabilité ou de mal-être.
[Le Gestaltiste] peut travailler sur la "mise en action" : face à une situation bloquée, il peut explorer comment passer de "Je ne peux pas" à "Je ne veux pas", ce qui, par le changement d'une seule lettre dans la formulation, réintroduit la responsabilité. Puis envisager d'enlever la négation pour oser un "Je veux", et enfin prendre la décision d'un "je vais".
La Gestalt, par son accent mis sur la responsabilité, s'oppose à toute dérive sectaire.
La pression existentielle de la responsabilité est le corollaire, la conséquence de notre liberté. C'est donc à la fois une chance, mais aussi une source d'angoisse, car en cas d'échec par exemple, l'individu ne peut s'abriter derrière une autre personne ou une cause extérieure. Dès 1947, dans son premier livre, Perls insiste sur l'emploi de la première personne du singulier, et suggère de dire "J'ai lâché la tasse" plutôt que "La tasse m'a glissé des mains."
Pour certains, la déprime s'installe dès qu'ils s'arrêtent, dès qu'ils se donnent le temps d'être à l'écoute de leur corps ou de leur coeur ; je vis avec un étranger qui est moi-même.
Beaucoup de nos actes peuvent être regardés comme une réponse, notre réponse personnelle, à cette finitude. Avoir des enfants est une façon de se prolonger par une descendance ; bâtir une maison ou planter un chêne, écrire un livre, ne sont-ils pas des réponses partielles à cette finitude ? Tout le monde connaît les pharaons égyptiens car ils ont fait construire les pyramides... S'investir complètement dans une recherche, dans une carrière, dans une passion est une manière de transmettre son nom à la postérité.
Les cinq pressions principales développées par les existentialistes sont la finitude, la solitude, la responsabilité, l'imperfection et la quête de sens.