Il en est comme lui qui ont le goût de la tempête. C’est au maquis qu’il a pris conscience que la guerre lui offrait une autre vie, une vie dans laquelle chaque minute est vécue avec l’intensité de la dernière. Et il en est ressorti vivant. Dans un creux de son esprit, bien à l’abri des regards, il pourrait croire qu’il est un élu, que les dieux l’ont à la bonne.
Ici, tout est grand, tout est petit, tout est stable, tout est friable, tout est sombre, tout est clair, tout est là, tout a disparu, tout est ordonné, tout est alambiqué, tout est pareil, tout est nuancé. C’est une ville et on est venu du monde entier pour y loger, un patchwork d’histoires pour dire l’humanité merveilleuse et cabossée. Vous entrez aussi dans une bibliothèque, chaque ouvrage est un exemplaire unique. Parfois la couverture est abîmée et il est difficile d’en lire le titre, c’est bien dommage car ce sont les seuls mots que ces livres donneront à lire. Pour le reste, les récits sont des recueils faits de mots muets, d’images invisibles, ils sont les souvenirs. Le passant marche dans un champ de Mémoriaux qu’il considère avec plus ou moins d’intérêt suivant son humeur, son pas. De temps à autre, un arbre ambitieux surgit parmi ces mémoires et en avale quelques-unes au passage. Ce sont les arbres-avaleurs et ils imposent le respect car dans leur sève court un fluide inattendu qui fait qu’ils rêvent. Un geai remonte par petits bonds la branche rondelette d’un platane. Il écoute le rêve de l’arbre et emporte les couleurs.
Les mutations du monde auquel il appartenait se racontaient par une accumulation de petites choses. Cependant, il manquait à Anjou une vision d’ensemble. Par exemple, un soir il avait lu sur un fil d’actualités qu’un groupe de généticiens travaillaient à ce que les chats et les chiens ne soient plus carnivores. Ou alors c’était l’écriture inclusive qui devenait obligatoire à l’écrit pendant qu’un groupe de linguistes réfléchissait à son application à l’oral. Une autre fois, un ami lui avait demandé s’il devait consulter un avocat, maintenant qu’il venait de tomber amoureux, histoire de prévenir les risques.
La maladie, les blessures t’ont mis à genou plus d’une fois et paradoxalement c’est dans ces moments que tu étais grand. À chaque fois je t’ai vu défait, fragile, j’étais sans doute la seule à pouvoir dire que tu étais beau. Une fois remis, tu repartais mais laisse-moi te dire une chose : pour moi tu as toujours été et tu resteras toujours un homme blessé. C’est pour cela que je t’ai aimé et que je t’aimerai. L’homme d’airain m’indiffère.
Tout le monde est issu de, fils de, petit-fils de, arrière-petit-fils de. Certains le savent, d’autres l’ignorent ; il est possible de s’en réjouir, de le regretter. Ou rien. Au final, cette dernière option est plutôt son cas
C’est au maquis qu’il a pris conscience que la guerre lui offrait une autre vie, une vie dans laquelle chaque minute est vécue dans l’intensité de la dernière. Et il en est ressorti vivant.