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5/5 (sur 3 notes)

Né(e) : 1948
Biographie :

Guy G. Stroumsa est professeur à l’Université hébraïque de Jérusalem, où il est titulaire de la chaire Martin Buber d’histoire des religions et où il dirige le Centre pour l’étude du christianisme. Il a notamment publié Savoir et salut : traditions juives et tentations dualistes dans le christianisme ancien et Les Juifs présentés aux chrétiens.

Source : Odile Jacob
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Citations et extraits (7) Ajouter une citation
Scheid ajoute enfin qu'une transformation parallèle se retrouve, déjà avant la destruction du temple de Jérusalem, dans le judaïsme de la diaspora, &un judaïsme dans lequel le culte sacrificiel reste nominal, puisqu'il ne peut se pratiquer qu'à Jérusalem, et dans lequel on note une adhésion intellectuelle plutôt que concrète à la religion d'Israël.

p. 152
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Tous les spécialistes, cependant, semblent partir du postulat que la conception la plus ancienne de la Passion du Christ est celle qui pose sa mort – et sa Résurrection. Si, comme tout le laisse penser, les premiers chrétiens voyaient déjà dans Isaac une préfiguration – typos – du Christ, alors il existait aussi, prima facia, une autre interprétation possible pour ces esprits avant tout exégétiques : à savoir que Jésus, tout comme Isaac, n’était pas réellement mort sur la croix, mais avait été sauvé in extremis par son Père, lequel l’avait remplacé par une victime de substitution, tout comme Abraham avait remplacé son fils par un bélier (…) cette vision d’un Isaac Fils de Dieu et né d’une vierge chez un coreligionnaire et un contemporain de Paul [Philon d’Alexandrie, -25 à 50] nous amène à réexaminer l’idée d’Isaac comme typos de Jésus. La conclusion semble s’imposer d’elle-même : il existait, dans le judaïsme du Ier siècle, ou du moins dans certains courants du judaïsme hellénistique, des gens pour penser qu’Isaac, alias le rire, était le Fils de Dieu et était né d’une vierge. Si Isaac avait été offert en sacrifice par son Père divin pour le salut de son peuple, et s’il avait échappé à la mort, tous les éléments nécessaires à l’émergence d’une théologie docète d’un Jésus ayant échappé au supplice de la croix étaient réunis dès les origines du christianisme. Vers la fin du Ier siècle, ces éléments ont très bien pu être connus de certains chrétiens qui pouvaient difficilement s’empêcher de penser à Isaac et à sa Aqédah lorsqu’ils méditaient sur la crucifixion de Jésus.

Pour ceux qui croyaient qu’il s’était volontairement sacrifié pour les péchés d’Israël, Jésus ne pouvait qu’évoquer instantanément la figure d’Isaac. L’acceptation de la mort de Jésus, et la transformation de celle-ci en pierre angulaire de la théologie chrétienne, fut l’œuvre du génie religieux de Paul. Mais il existait alors encore une autre interprétation possible.

Le De Isaaco de Philo semble s’être très tôt perdu (…) selon lui [Erwin Goodenough], la disparition de ces textes précis ne serait pas liée aux vicissitudes bien connues des manuscrits dans l’Antiquité tardive, mais résulterait d’une action délibérée des copistes chrétiens qui jugeaient sa conception d’Isaac scandaleusement trop proche de celle de Jésus dans la tradition chrétienne. (pp. 37-38 & 42-43)
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Dans les plus vieilles traditions grecques à leur sujet, les Juifs étaient tenus, semble-t-il, pour une race de philosophes (…) dans son Indica (rédigé vers 290 av. J. C.), Mégasthène parle avec admiration des Juifs qui, affirme-t-il, sont aux Syriens ce que les brahmanes sont aux Indiens, entendez une secte de philosophes, l’élite du peuple, les dépositaires de vénérables traditions concernant la nature de la divinité : « Tout ce que les anciens ont enseigné sur la nature l’est aussi par des philosophes hors de Grèce, au premier rang desquels les brahmanes chez les Indiens, puis ceux qu’on appelle les Juifs en Syrie. »

S’appuyant sur Mégasthène, Cléarque de Soles, disciple d’Aristote, soutient que les Juifs descendent des brahmanes et voit dans leur sagesse un « héritage légitime » des Indiens. Devenue un topos littéraire, cette idée était, semble-t-il, communément reçue parmi les Juifs, puisque Philon d’Alexandrie et Flavius Josèphe la reprennent à leur compte. Pour Philon, qui lui aussi suit Mégasthène, la « philosophie barbare » représente la reproduction originelle de la vérité et de la sagesse, exprimée non pas en grec mais en hébreu. Elle se confond avec la Torah, le livre par excellence de la sagesse. Les esséniens, en particulier, sont, selon lui, les détenteurs d’une sagesse barbare. Ils sont, pour ainsi dire, les brahmanes des Juifs, l’élite de l’élite. Philon ne cache pas qu’il tient la philosophie barbare en plus haute estime que la philosophie grecque.

« Pratiquement l’humanité, du levant au couchant, toute contrée, toute race, toute cité, tous sont hostiles aux institutions étrangères et pensent accroître le respect pour les leurs propres s’ils le refusent à celles qui sont en vigueur chez les autres. Il n’en est pas ainsi des nôtres : elles attirent et font se tourner vers elles tous les peuples : barbares, Grecs, continentaux, insulaires, nations d’Orient, d’Occident, Europe, Asie, toute la terre habitée d’une extrémité à l’autre. » (pp. 239-241)
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Comment les intellectuels chrétiens des premiers siècles ont-ils construit leur propre identité en se distinguant des autres ou en s'y opposant? Peut-on discerner des façons spécifiquement chrétiennes de considérer les peuples de l'Orient et leurs traditions? Afin de donner un tour plus concret à notre démarche, je propose de comparer leur approche de deux peuples orientaux, les Indiens et les Arabes.
Bien qu'entrant tous deux dans la catégorie des peuples barbares, les Indiens et les Arabes étaient, eux yeux du monde antique, des barbares d'un genre différent. Les Indiens étaient considérés comme les dépositaires d'une respectable tradition culturelle. Ils étaient, pour le dire autrement, un authentique Kulturvolk. Les Arabes, en revanche, ou Saracènes, comme on les appelait le plus souvent, sont systématiquement décrits dans la littérature antique comme des habitants du désert, vivant tous des tentes, autrement dit comme un Naturvolk, des barbares au sens péjoratif. L'images des Indiens et des Arabes que se faisaient les chrétiens présente-t-elle des traits spécifiques qui la distingue de celle des auteurs païens?
Si, dans l'ensemble, ils n'ont pas développé, à propos des peuples étrangers, des conceptions anthropologiques d'une grande audace ou d'une grande originalité, les auteurs chrétiens ne se sentaient nullement tenus par ce qu'en rapportait la littérature hellénistique. C'est cette relative liberté qui leur permit de proposer une nouvelle vision de la sagesse indienne, et aussi de la nation arabe. Notons cependant que reconnaître la présence d'importantes vérités chez les barbares n'allait pas de soi pour les premiers théologiens chrétiens. D'un certain point de vue, il leur était plus difficile qu'aux païens, qui ne croyaient pas en une révélation divine, d'admettre que d'autres traditions religieuses puissent, elles aussi, avoir accès à la vérité. Ces barbares n'étaient-ils pas, en effet, des païens, et à ce titre, extérieurs à la révélation divine?
Mais ce qui semblait difficile à admettre d'un point de vue théologique abstrait fut rendu possible par la prise de conscience, chez les chrétiens, de l'unité de l'humanité et par leur rupture progressive avec la culture grecque et les représentations romaines. C'est parce qu'il était intimement convaincu de l'unité de l'humanité que Justin, au milieu du IIe siècle, put développer sa théorie du spermatikos logos imprégnant toutes les cultures comme une sorte de révélation parallèle et implicite. C'est cette même volonté de "récupérer", si l'on peut dire, ou de récapituler la sagesse de toute l'humanité, et pas seulement celle des Grecs, qui fit naître, chez Eusèbe, l'idée d'une praeparatio evangelica. Comme on sait, ce principe théologique entraîna une relativisation de la culture grecque. Mais il permit aussi, et on ne l'a pas toujours suffisamment souligné, l'apparition d'une certaine curiosité ethnologique à l'égard des autres civilisations.
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La diabolisation des Juifs fut rendue possible, non seulement par l’affaiblissement du paganisme, qui faisait désormais des Juifs les principaux rivaux des chrétiens, mais aussi par l’association traditionnellement faite entre les Juifs et Satan, que le christianisme avait héritée de l’Évangile de Jean. Un tel phénomène ne saurait surprendre dans une tradition qui, avant même la fin du Ier siècle, pouvait citer ces paroles de Jésus à propos des Juifs [Jean 8, 44].

Toutefois, ce courant n’était pas universel. D’autres voix se laissaient encore entendre dans le discours chrétien. En premier lieu, le droit ne fut pas immédiatement affecté par ce nouveau climat. Ce n’est que plus tard que la délégitimation du judaïsme entreprise par les intellectuels chrétiens le marquerait de son empreinte, dans un processus qui culminerait avec l’interdiction du culte synagogal par Justinien (…) à cause de l’influence considérable qu’il exerça, le langage d’opprobre des Pères de l’Église contre les Juifs – et notamment la diabolisation de ceux-ci après la disparition plus ou moins complète du danger que constituait le paganisme – devint l’un des principaux terreaux de l’antisémitisme racial européen. Vers le milieu du IIIe siècle, Origène, dans sa réponse au philosophe Celse, pouvait encore considérer que les deux religions bibliques, sur certaines questions cruciales, se tenaient dans le même camp dans la guerre contre le paganisme. Mais pour Chrysostome, ce n’était plus possible. A son époque, en effet, le judaïsme faisait désormais figure d’ennemi principal, et les enjeux étaient énormes : « Ne voyez-vous pas, dit-il, que si le judaïsme est vénérable et saint, le christianisme est faux ? »(1).

C’est cette vision du judaïsme comme menace perpétuelle pour la vérité du christianisme, et donc pour sa survie, qui allait se révéler fatale.

(1) JEAN CHRYSOSTOME, Adv. Iud. 1.6.5. (pp. 180-182)
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Cette étude [Un Dieu sans nom, "Théologies du nom" judéo-chrétiennes et gnostiques], très incomplète, avait simplement pour objet d'attirer l'attention sur quelques conséquences surprenantes, voire paradoxales, du refus des Juifs de nommer leur Dieu. Dans l'Antiquité, un dieu sans nom était pour le moins une chose rare. En refusant de prononcer le nom de leur Dieu, les Juifs, qui entendaient ainsi souligner le fossé ontologique infranchissable qui le séparait des idoles des autres peuples, laissèrent le champ libre au développement d'hypostases divines portant les formes et le nom de Dieu. Une hypostase permettait de se faire une représentation plus concrète d'une divinité par trop abstraite et d'entrer d'une certaine façon en familiarité avec elle. Les modes de pensée ésotériques étaient très répandus dans les sociétés antiques. En Israël, le nom ineffable de Dieu offrit un terrain particulièrement favorable à l'essor de l'ésotérisme.
L'une de ces hypostases divines, Jésus Christ, devait connaître une réussite inégalée. Dieu le Père perdit son nom. Ce nom devint progressivement une autre figure divine, parfois appelée Fils de Dieu. Puis, ce fils prit le nom de son Père : comme si l'histoire des religions suivait un parcours œdipien. En un sens, on peut dire que ces juifs qui croyaient (peut être de façon un peu prématurée) que le Messie était advenu et que le temps des épreuves et des injustices touchait à sa fin, mirent en branle un processus qu'ils ne pouvaient mener à terme : c'est aux gnostiques, qui construisaient, comme nous l'avons vu, sur fondations judéo-chrétiennes, qu'il reviendrait de le pousser à son aboutissement logique, en tuant, ou du moins en renversant, le Père de Jésus Christ.
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Sozomène [dans son Histoire ecclésiastique] brosse ensuite un tableau de l’histoire religieuse des Arabes. Ceux-ci tiennent leur origine d’Ismaël, fils d’Abraham. Par la suite, ils prirent le nom de Saracènes ou Sarrasins (sarakènoi), afin de passer pour les descendants d’une femme libre, Sarah, et non pour ceux de l’esclave Agar. C’est d’ailleurs ainsi qu’ils sont généralement appelés dans la littérature de l’Antiquité tardive et dans celle du début de l’époque byzantine (…) « Du fait de leurs origines, ils se font circoncire comme les Juifs, s’abstiennent de consommer du porc et observent quantité d’autres rites et usages propres aux Juifs ». Avec le temps, cependant, les origines de ces pratiques s’estompèrent, « et comme les peuples limitrophes étaient très superstitieux, ils corrompirent, comme il est naturel, le genre de vie ancestral d’Ismaël ». Ayant abandonné les lois de leurs ancêtres, les Arabes se mirent à adorer les mêmes divinités que leurs voisins, même si « plus tard, certains d’entre eux, étant entrés en rapport avec les Juifs, apprirent d’où ils étaient issus, revirent à leur parenté et s’associèrent aux habitudes et aux lois des Hébreux ».
(…)
Cette participation des Arabes à la noble ascendance d’Israël permit l’émergence d’attitudes moins négatives à leur égard. Ainsi, on peut lire dans la Thérapeutique des maladies helléniques de Théodoret de Cyr [m. 458] :

« Quant à nos voisins, les nomades (je veux dire les ismaélites qui vivent dans le désert et qui n’ont pas la moindre idée des ouvrages grecs), ils sont doués d’une intelligence vive et pénétrante, et ils ont un jugement capable de discerner la vérité et de réfuter le mensonge. » (pp. 266-269)
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