« Vita Gallitelli était notre héroïne familiale, celle grâce à qui nous étions sur Terre. Comme dans beaucoup de familles d'immigrants, c'était grâce aux souffrances et aux vices d'un aïeul que ses descendants pouvaient vivre dans le confort et la vertu. »
Cette héroïne, c'est l'arrière-arrière-grand-mère italienne de la narratrice qui, en 1892, a laissé sa terre natale de Basilicate pour s'installer en Amérique, dans le New Jersey, après avoir traversé l'Atlantique avec ses enfants. Mais sans homme, ce qui n'était pas ordinaire pour l'époque.
De plus, à en croire une vieille histoire transmise de bouche-à-oreille, vingt ans plus tôt, en 1872, notre protagoniste aurait commis l'irréparable lors d'une partie de cartes meurtrière. C'est pourquoi ce pays où le lait et le miel étaient censés couler à flots semblait offrir le nouveau commencement auquel pouvait rêver une réprouvée de la vieille Europe. de plus, cette année-là, 250 000 Italiens immigrèrent sous la pression d'une crise économique sans précédent marquant le début d'une longue hémorragie migratoire. Un total de trois millions d'Italiens quitteront en effet leur pays entre 1900 et 1915.
En 2004, Helene Stapinski, journaliste et romancière, a 39 ans ; l'âge qu'avait son ancêtre quand elle a posé le pied à Ellis Island. À cette trisaïeule morte en 1915, Helene, qui vit à Brooklyn entourée d'un mari et de deux enfants, doit non seulement d'être sur Terre mais aussi de bénéficier de toutes les facilités de l'american way of life. Ce qui n'empêche pas que certaines questions la taraudent sur le mystère de ses origines. Vita aurait-elle fui dans le seul but de construire une vie meilleure ou est-ce le crime qui l'a incitée à s'enfuir ? La théorie du « criminel-né », chère au criminologue italien Cesare Lombroso (1835 – 1909), fait aussi pas mal gamberger Hélène, qui craint qu'une fatalité atavique ne plane au-dessus de sa tête : un sang vicié irriguerait-il les veines de sa descendance ?
Alors, qu'à cela ne tienne. Rien de plus simple pour la femme du troisième millénaire jouissant d'un train de vie aisé que d'accomplir un périple à rebours de celui de Vita un siècle plus tôt. Laissant son mari aux États-Unis, c'est avec sa mère et ses deux enfants que la narratrice va d'abord fouler la terre de ses ancêtres, lors d'un premier séjour. Réussira-t-elle à faire toute la lumière sur les circonstances qui ont conduit son aïeule jusqu'au Nouveau Monde ? Hélas aucune vérité ne jaillira du sol argileux de cette contrée recuite par le soleil où la touffeur des après-midi d'été donne souvent l'impression d'entrer dans un four à pizza. En tout cas, pour cette fois. Mais Helene ne se résigne pas et remet ça dix ans plus tard. En 2014. D'archives en cimetières, elle va remuer ciel et terre pour parvenir à ses fins, persuadée qu'au bout de son enquête, la vraie Vita l'attend.
J'ai découvert ce texte parallèlement à ma lecture du livre le Christ s'est arrêté à Eboli de Carlo Levi, dont l'histoire se déroule aussi en Basilicate et auquel Helene Stapinski fait d'ailleurs référence.
Sa quête des origines sert notamment de prétexte à une découverte des us et coutumes de ce coin de Mezzogiorno à la fin du XIXᵉ siècle. Là-bas où tant de fléaux comme la malaria (le paludisme) se sont abattus sur fond de grande misère.
On en saura également davantage sur ce jeu de cartes auquel a si longtemps été associé la mémoire de Vita. Il s'agissait probablement de la passatella ; un jeu de taverne aux règles aussi curieuses qu'infernales dont on ne s'étonnera pas qu'elles puissent pousser au crime… À tout moment une partie pouvait ainsi déraper et c'est pour cela que ce jeu terrible sera interdit dans les années 1920.
De même, sera aussi évoqué le rite féodal qui permettait au padrone, en l'occurrence le seigneur ou riche propriétaire foncier, de déflorer la jeune épouse de ses ouvriers lors de la nuit de noces, la prima notte. Dans bien des tragédies, on a tué pour moins que ça… Alors est-ce plutôt là qu'Helene devra creuser pour connaître le fin mot de l'histoire ?
Mais au-delà des questions, peut-être que la quête d'Helene s'apparente-t-elle finalement à un chemin de rédemption. Une façon pour elle « de retrouver le paradis et de tourner une bonne fois pour toutes le dos au passé. »
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