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Critiques de Henri Grivois (2)
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Grandeur de la folie : Itinéraire d'un psychi..

Tout le monde connaît le concernement et certains peuvent même aimer le petit frisson d’adrénaline que provoque chaque rencontre avec autrui. Il faut alors réagir pour éviter l’affrontement : yes, je t’ai bien vu, bonjour et comment ça va, ou évitement plus ou moins réussi mais l’expérience finit par aider. Un exemple :



« Je travaille seul dans une bibliothèque, quelqu’un entre. Sans me retourner, je suis « concerné » par sa présence, je sais qu’il est là. Quand je parle avec quelqu’un, en-deçà des mots échangés, un lien tacite nous unit. Un impondérable concernement n’émerge-t-il pas de deux personnes dont les regards se croisent ? Ces données élémentaires témoignent de l’ajustement et de l’adéquation de chaque être humain à ses semblables ».





Dans le cas de la psychose naissante, le concernement se généralise et s’étend à toutes les situations d’une manière qu’il n’est plus possible de contrôler ni d’endiguer. Pour Henri, c’est « l’emballement d’une fonction interindividuelle normalement muette », ou au moins discrète.





La notion de concernement a fait l’objet d’un essai plus détaillé dans « Naître à la folie ». Dans « Grandeur de la folie », Henri établit à présent une généalogie de la notion associée aux événements de sa propre vie. Cette mise en scène un peu dramatique ne me semble pas forcément nécessaire mais certains y trouveront peut-être leur compte. On comprend la manière dont cette notion s’est progressivement développée à travers ses expériences professionnelles, ses rencontres et les influences des institutions dans lesquelles il a patiemment œuvré. En arrière-plan se dessine ainsi le panorama psychiatrique d’une certaine époque.





Si l’intuition d’un concernement inhérent à la psychose naissante ne fait pas de doute pour Henri, il se demande quand même qu’en faire. Faut-il sortir le grand mot sur un plateau en argent pour réconcilier le psychotique avec le défilé des signifiants ou n’importe quoi d’autre de filant entre les doigts ? Sans encourager ni amener son patient à aimer ce sentiment de concernement, le nommer et le reconnaître peut déjà être d’un grand bénéfice. Psychiatre de formation, Grivois tolère mieux les médicaments que la parole psychanalytique qui déchaînerait le concernement. Lorsque les signifiants glissent, il vaut mieux éviter toute chiquenaude verbale qui les feraient choir encore plus vite. Ne pas déranger la folie dans ce qu’elle a de rare. « Grandeur de la folie », le titre n’est pas pour rien. La folie ne nous semble dérangeante (bizarre, admirable, condamnable, effrayante) que parce que nous ne pouvons négocier avec elle. Comme tout bon psy- qui est venu au psy- par amour de la folie, à une époque où cet amour était encore possible, contre la normalisation déprimante de notre époque, HG suggère l’impensable de notre temps :



« Les chamans à leur façon respectent le silence des patients. Ils quittent le village et partent avec eux dans la montagne. Cette passivité asiatique, ce respect du silence conviennent-ils mieux aux psychotiques que notre activisme industriel et médicalisé ? »

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Naître à la folie

Lacan considérait que le psychotique n’est pas traitable par la psychanalyse, tout ça parce qu’il serait détaché de tout rapport avec autrui, fixé qu’il est dans son rapport à la Lettre. D’accord, mais ce rapport à la Lettre n’est-il pas aussi une des formes du rapport à autrui ? Bon, c’est un peu le bordel, toujours est-il que dans la psychanalyse lacanienne, le psychotique semble exclu du rapport à autrui. Si on ajoute que la psychose correspond à un genre d’exacerbation narcissique, et on aura fini de dresser un certain portrait de ce trouble contre lequel Henri Grivois vient ici s’opposer.





Henri Grivois est un psychiatre, pas un psychanalyste, et il nous parle avant tout de son expérience avec ses patients. Son livre est accessible et contient très peu de jargon. Deux notions principales à intégrer : celle de l’expérience centrale (l’entrée en psychose) et celle de concernement (« C’est l’ouverture, brutale ou progressive, d’une scène qui se peuple des membres de la communauté humaine illimitée, assemblés en une étrange préparation »).





L’expérience centrale n’est pas fortuite. Elle se présente comme irruption sur le champ public de ce sentiment de concernement qui habitait peut-être le sujet depuis longtemps déjà. On est tous un peu concernés –forcément, on vit en communauté. Mais là où on tolère, là où on encaisse, là où on trouve des solutions d’évasion, le psychotique sent enfler le concernement jusqu’à se fondre lui dans les autres et les autres, formant une unité inhumaine, c’est-à-dire spirituelle. Lacan avait-il tort finalement de dire que le psychotique n’avait plus de lien avec autrui ? A partir d’un certain seuil où les autres = moi, et réciproquement, tout s’annule et ni l’un ni l’autre, effectivement, n’existent. Mais c’est passer trop vite d’une expérience à une abstraction, et c’est ce que veut éviter Grivois.





Prenant du recul sur sa pratique de psychiatre, il dénonce l’unilatéralité du discours de l’analyste qui réduit maladroitement le vécu du patient en l’englobant dans un savoir qui ne rassure que lui et rappelle que nos descriptions de la psychose, encore bancales, ne le sont peut-être qu’à cause de la fascination qu’éprouvent les observateurs extérieurs. Que pouvons-nous faire alors pour dépasser ces écueils ? Grivois propose de devenir l’individu qui échappe au concernement, d’être celui qui peut tenir la main du psychotique lorsqu’il traverse l’expérience centrale pour qu’il ne perde pas de vue que l’altérité continue peut-être d’exister, malgré tout. Il s’agit de dépasser les illusions romantiques des gens sains d’esprit qui s’imaginent que le psychotique aspire à un renversement radical des valeurs, proposant plutôt l’idée que le psychotique attend cette sécurité que l’on ressent lorsque, après avoir vécu un séjour plein de dangers et de menaces, on peut retrouver un foyer bien propret (bouh !) mais confortable et rassurant (ouf).





Bref, on l’aura compris, la psychose est une recherche de sens effrénée face aux questions qui s’imposent dans l’absurdité d’une vie collective et mimétique : « Le psychotique dénonce […] un double jeu : on me devine, on m’imite, alors que moi je ne devine et n’imite personne ».





On aura des témoignages :





« Alain à sa façon me dit qu’on peut entrer en psychose par absence de limites ou par trop de limites. Alain est affolé autant par le règlement de l’armée qu’il l’est avec un ami d’enfance lors de ses vacances, dans l’absence de toute règle.

Le risque est ici de tourner à l’intérieur de systèmes, sémiologiques ou mimétiques, dans lesquels les figures et les stratégies ont déjà fait l’objet d’un repérage. »





« Henriette s’esclaffe […] quand elle raconte sa persécution, parce que effectivement c’est drôle d’en parler ainsi, pour elle je ne sais pas trop, mais en tout cas pour un tiers, d’entendre et de voir quelqu’un qui se dit pincé par des êtres invisibles. Elle imite et précède le rire de ce vis-à-vis, en quelque sorte par anticipation. »





Henri Grivois émet l’hypothèse suivante :

« [Le psychotique] se perd avec un seul aussi bien qu’il se perd seul avec tous et réciproquement. Plus il sort de la communauté des hommes pour prétendre n’être que lui-même, c’est-à-dire pour se libérer des modèles et des rivalités qu’ils engendrent, moins il trouve en lui d’autonomie, c’est-à-dire quelque chose qui pourrait lui dicter automatiquement sa conduite en société, plus donc il a besoin des autres. »



Le psychotique attribuerait au groupe un illusoire savoir public dont il se sent exclu. Il faudrait donc l’aider à se détacher de ce rapport imaginaire aux autres en transformant la connaissance intime qu’il croit en avoir en une connaissance partagée qui parviendrait à en dissoudre l’illusion. « Le fait qu’un autre sache, un autre au moins, peut rompre le cercle rigide et implacable de la double unanimité ».





Pour terminer, Henri Grivois met fin à un ultime préjugé que nourrissent les sujets sains quant à la psychose considérée comme pathologie des temps modernes. Il remarque au contraire que les cultures produisent un taux assez fixe de psychoses à travers le temps et l’espace. « La psychose serait-elle entre les hommes une relation d’échange universelle ? » La psychose aurait simplement acquis une visibilité accrue à notre époque du fait de la désagrégation des institutions et d’une modification du régime de la vie en commun, qui s’opère par suite de la libération des frontières entre les hommes.





Mais tout ceci est un détail et s’il fallait ne retenir qu’une chose de cet essai, c’est que l’éloignement du psychotique à notre monde n’est peut-être pas étranger à notre conception romantique de la folie.

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