Jacques Etienne Bovard : les beaux sentiments
Depuis Lugano, situé dans le canton de Tessin
Olivier BARROT recommande la lecture de "les beaux sentiments" de
Jacques Etienne BOVARD.
durant les huit dernières années, javais eu trois histoires, sérieuses dans la mesure ou j'y ai chaque fois cru, plutôt comiques finalement au vu de leur scénario aussi répétitif que celui de mes " romans".
Carole d’abord un je suis photographe. C’est un métier difficile. Moins risqué certes que la plus banale intramusculaire, mais aussi délicat, crevant, incertain, angoissant, cruel, infini que toute la médecine depuis les plus reculés alchimistes… Pas d’horaire de travail, pas de chef, pas de collègues, pas d’argent, mais ça prend du temps, ça prend la tête, prend des forces autant que dix heures de consultation. Ce qui pourrait expliquer mes innombrables oublis et distractions en tout genre, Carole. Et même les justifier. Parce que j’ai la faiblesse indigne, te dirais-je, de préférer « faire mumuse » avec mon agrandisseur qu’avec la rutilante batterie de casseroles Kuhn-Rikon double coque dont tu m’as gratifié.
Elle part.
Reviendra-t-elle ? Est-ce qu’il la reprendra ?
Éternelle histoire de l’homme qui voit son existence le fuir, par cassures subites, ou imperceptiblement, comme le sable entre les doigts : sa femme, sa famille, ses amis, ses projets, sa raison d’être.
Pourtant c’est bien dans cette espèce d’histoire d’amour en parallèle que je suis entré, sa ferme natale, son village, son pays, pressenti, apprivoisé, goûté d’une visite dominicale à l’autre aux beaux-parents, puis investi, aimé chaque jour avec plus d’intensité et de profondeur. Le domaine Ermangeat. Ces mentalités, ces ruses, ces silences, tout ce pays âpre, raviné, sinueux, si lumineux et secret. Pour moi le lémanique un autre monde, tellement plus vivant, plus debout que la Côte assoupie entre son lac et son Jura, tranquille, satisfaite d’elle-même à la façon d’un grand parc. Ici une vigueur, une rudesse, une netteté. Pays profond, la présence de quelque chose d’authentique.
Jaloux ?
Évident que mon amour pour elle est fondé, dans sa part accessible à ma raison, sur l’admiration. Sa beauté, son caractère, sa force, son intelligence… Reste même quotidiennement surpris, voire incrédule, à l’idée qu’une femme comme elle puisse aimer un type comme moi. Pas étonnant dès lors que je vive en état de perpétuelle anxiété. Mais jaloux de la médecine ?
Vrai que je déteste ce qui l’accapare et l’épuise, mais l’aimerais-je autrement que passionnée, brillante, ambitieuse ? Une Carole qui ne vivrait que par moi ?
Étrange effet de ces alcools blancs qui aiguisent, affolent et anesthésient à la fois. Faut-il que j’en charrie une dose encore dans les veines pour pouvoir écrire des mots pareils sans éclater.
Ne pas sous-estimer non plus l’effet sur elle de ces veilles à répétition.
Je ne suis pas battu.
Nous ne sommes pas finis.
Sincère quand elle disait respecter, admirer même mon choix, au fond scandalisée plus que tous les autres. Quelque chose de cassé, de piétiné en elle. J’ai désavoué, insulté ce qui était en train de se sacraliser en elle. La médecine ! Jeter ça, le Diplôme, et pour faire quoi à la place ?
« C’est toujours comme ça, avec le père, depuis quelque temps : le premier à râler contre tous les règlements du monde, et le premier à se mettre au garde-à-vous, surtout depuis l’histoire de la banque… Moi je la boucle, mais j’agis. Sinon on est cuits, tu comprends. »
Enfin il est réconfortant parfois de constater ailleurs une tare qu’on n’a pas.