Citations de Jean-Luc Marion (45)
La vraie question est de savoir comment nous allons transmettre la culture française aux jeunes Français d'aujourd'hui et de demain. Je ne pense pas que ceux qui refusent toute norme anthropologique issue de la tradition et de l'histoire au nom de leur propre volonté de normalité anomique en seront capables. Je pense que le modèle éducatif catholique aura son mot à dire. Au cours du haut Moyen Âge, après les invasions barbares, les studiums des monastères ont su insuffler un style de vie, matériel et spirituel, qui a été suivi non pas parce qu'il engageait une loi, mais parce qu'il transmettait la foi.
C'est l'époque de la confusion des causes. Aux revendications féministes ou homosexuelles, se mêlent des considérations sur la sexualité infantile, le désir et le plaisir des enfants. Jusqu'à la sainte laïque de la psychanalyse qu'est François Dolto qui participe de cette pseudo-libération et des pétitions hallucinantes d'aveuglement qui rassemblent d'éminentes signatures.
Le lecteur quotidien de L'Équipe que je suis sait que toutes les formes d'abus et de chantage sexuel sont répandues dans le monde du sport presque entier, parfois avec la complicité des parents qui, pour favoriser la carrière de leur progéniture, ferment les yeux. Le monde des arts, qu'il s'agisse du cinéma ou de la danse, connaît également ce fléau. De même, on le découvre, dans le milieu des syndicats lycéens ou estudiantins, des partis politiques, de l'entreprise, etc., pourtant parés des attributs de la vertu et du progrès.
Aujourd'hui, il se trouve assez de gens talentueux et désireux de descendre dans l'arène pour que je puisse consacrer mon temps à écrire, sans avoir à ruminer pourquoi je m'en tiens éloigné.
Il faut donc regarder l'homme autrement, comme l'autre homme, l'homme autre, selon l'éthique. Mais Levinas démontre philosophiquement cet impératif en l'inscrivant à la suite de Husserl et en le déroulant contre Hegel. La brèche qu'il ouvre est libératrice. C'est l'événement de Totalité et infini.
Les nations et les empires s'écroulent, les idéologies aussi, quant aux imaginaires collectifs n'en parlons pas. Leur volonté acharnée de survivre reste sans effet sur leur fin programmée. Leur rêve d'éternité creuse leur tombe. Certes, à vue humaine, l'Église ne devrait pas exister.
La singularité doctrinale de la création des vérités éternelles réside dans le fait qu'au moment où Descartes l'émet, les esprits éclairés du xvne siècle, qu'ils soient physiciens, philosophes ou théologiens, pensent pour la plupart le contraire.
Tous les grands philosophes français, morts ou vivants, ont écrit un jour ou l'autre sur lui. Il est aussi l'objet d'une dispute homérique entre les deux figures de la scène universitaire, les éminents cartésiens Ferdinand Alquié et Martial Gueroult : le premier privilégie la geste existentielle des concepts, là où le second systématise un ordre des raisons.
À faire de la théologie sans la foi, on ne fait tout bonnement pas de théologie du tout, car elle suppose l'expérience de la sainteté, autrement dit l'expérience de Dieu. On peut être un historien de la peinture, un musicologue, un critique littéraire compétent tout en étant incapable de produire soi-même une œuvre, de ressentir ou de communiquer la beauté d'une création singulière, de discerner entre un remarquable et un médiocre artiste. La théologie est en revanche affaire de vérification directe, empirique, personnelle.
La règle est simple : liberté de principe en amont, censure en aval si besoin, mais toujours pédagogique. Plus vaste et plus complexe encore que la philosophie, la théologie, qui est l'exact inverse d'une discipline futile, requiert, je vais l'apprendre à mes dépens, un immense investissement. Pour commencer à l'approcher, il faut avoir lu un nombre infini de textes dans un nombre incalculable de langues, raison pour laquelle il n'y a pas beaucoup de théologiens complets et accomplis.
Avec l'oracle de l'Être, l'effet de séduction s'avère d'autant plus irrésistible qu'il est réellement génial. La mode souabe est alors à son apogée. On se greffe sur l'œuvre comme on entre en religion et celle – ci, à l'instar de n'importe quelle autre, a ses fanatiques.
Je comprends que l'Être peut se décliner en plusieurs sens, jusqu'à s'abîmer dans le non-sens et que tout retour aux sources doit engager une révision des sources elles-mêmes. Au même moment, je découvre également, dans l'allemand de Heidegger, que l'Être consiste d'abord en un questionnement, Seinfrage : quelle signification lui accorder dès lors que le fait d'être, Sein, est fini, que l'être-là, Dasein, est un être-pour-la-mort, Sein zum Tode ? Je comprends que l'angoisse n'est pas un sentiment, qu'elle est expérience du néant, que le néant est celui de l'étant et donc qu'il ouvre la voie d'accès à l'être.
Le grec d'Aristote est plus simple que celui de Platon. Non seulement plus accessible, mais aussi plus limpide. Or, comme au cinéma, goûter autant que faire se peut la version originale est vital. On y trouve des lumières et des ombres que tend à estomper ou grossir la version traduite. Je m'efforce de lire les textes tels que leurs auteurs les livrent car l'amour de la langue et des langues, qui a précédé en moi le souci de la philosophie, ne me quitte pas.
Le premier philosophe que je crois comprendre est Spinoza. Le lire me donne l'impression d'être intelligent et sa facilité d'emploi en fait une référence obligée dans mes copies. Un peu plus tard, lorsque je serai l'assistant de Ferdinand Alquié à la Sorbonne, à chaque rentrée, j 'aurai un texte différent de l'œuvre de Spinoza à expliquer et enseigner. Au bout des sept années que durera ce commentaire assidu, le spinoziste que j'ai pensé être en retirera que, tout compte fait, Spinoza ce n'est pas si bon qu'il avait pu me paraître.
Sans scrupule et sans honte parce qu'il n'est pas faux de dénoncer la primauté de l'argent et qu'on peut le faire sans adhérer à un quelconque corpus idéologique. Telle était encore la contrainte de l'atmosphère.
La poésie me devient une seconde langue maternelle. J'y vois la plus sérieuse et la plus décisive des expressions. Je le fais d'instinct ne sachant pas encore combien les grands philosophes du xxe siècle se sont tournés vers la poésie afin de sortir du langage de la métaphysique. Ce qui ne sera pas pour rien, plus tard, dans mon attachement à les relire à cette lumière.
Je pressens ainsi que la philosophie s'apparente à l'alpinisme et qu'il faut apprendre à durement grimper pour atteindre des sommets. Je prends donc pour discipline de sélectionner les textes qui au premier abord semblent énigmatiques, afin de m'essayer plus tard à les déchiffrer. Je me dressais ainsi une liste de livres trop difficiles pour moi.
je ne sais pas encore ce qu'est la philosophie. Si, clairement, je me destine à des études littéraires, c'est la poésie qui m'impressionne. Et ce sont les langues anciennes et modernes, l'histoire auxquelles je me consacre. Le seul attrait que peut exercer sur moi la philosophie tient à ce qu'elle me reste hermétique et que je me complais dans ce qui résiste à mon entendement.
Enfin, sans vanterie et sans vanité, il m'apparut aussi très tôt que le conflit et l'affrontement ne m'effrayaient pas, que j'étais doué pour le débat, l'argumentation, la polémique et que l'on avait tendance à prêter l'oreille à ma voix. La division qui conduit à la discussion me convient. Et ce trait également perdurera.
Quand un chrétien entre en philosophie, il pense de la philosophie, fait de la philosophie et aboutit à la philosophie.