Jean-Paul Descombey

Il existe un attachement intense, viscéral, parfois bizarre, du père alcoolique à ses enfants, attachement comparable à celui d'une femelle pour ses petits et qui fait de lui un "père-mère" au goût prononcé pour le nursing, surtout lorsqu'il s'agit d'enfants débiles ou handicapés. Cette attitude se retrouve lorsque, dans les services hospitaliers de psychiatrie, les alcooliques se placent spontanément face à de jeunes malades dans la position d'"éducateurs volontaires et bénévoles".

Le recours à l'alcool est le type même de la solution existentielle simple. Son traitement simpliste serait de maintenir l'alcoolique sur le terrain de la solution chimique, d'ordre magique.

Rien ne permet d'écarter l'hypothèse d'une prédisposition à l'alcoolisme, avec ce qu'elle comporterait d'aléatoire. Il s'agit là d'une hypothèse, non d'un fait, encore moins d'un fait exclusif. Les progrès de la génétique nous aideront peut-être à y voir plus clair.

Méthodologie scientifique et vigilance éthique incitent à la plus grande prudence dans l'analyse des résultats des recherches biologiques. Des déductions hâtives et sommaires rejoignent aisément des fantasmes fatalistes et accusateurs (sur la "tare" de l'alcoolique, ou sur la dégénérescence, son avatar pseudo-scientifique), dont les retombées peuvent être fâcheuses pour le traitement des alcooliques.

C'est ce qui faisait autrefois le succès des ateliers d'ergothérapie (thérapie par le travail) dans les services de psychiatrie, dans lesquels les alcooliques se précipitaient. Les abrégés par lesquels on dénommait souvent les ateliers de ferronnerie et de menuiserie, « fer » et « bois », renvoyaient bien l'écho des injonctions « faire » et « bois », véritable provocation à l'agir et au boire dont les alcooliques n'avaient guère besoin.

Freud, définissant, dans Malaise dans la civilisation, les procédés défensifs que l'homme utilise, en distingue trois qu'il juge prédominants : la mystique, la psychose et l'usage de toxiques, « briseurs de soucis ». Chaque individu choisit l'un de ces procédés en fonction de sa problématique personnelle. C'est dans cet esprit qu'il faut s'interroger sur l'alcoolisme et se mettre à l'écoute d'un patient.