C’est pourtant simple, tantine : personne ne peut être très heureux et avoir beaucoup d’enfants sans se marier ! C’est oncle Porges qui me l’a expliqué. Alors moi j’avais tout arrangé : tu te mariais avec lui, vous étiez très heureux… Comme dans les contes de fées, tu vois ?
— Mon pauvre enfant ! La vie, hélas, n’a rien d’un conte de fées ! Il faut nous accommoder des choses telles qu’elles sont…
Les Grands Sages me l’ont assuré : celle qui ce soir est à genoux devant vous, si convoitée pour sa beauté, si recherchée pour sa fortune, s’agenouillera de nouveau quand sonnera l’heure. Alors moi, le pauvre Billy Bouton, je vous donnerai sa main, et vous repartirez unis et confiants en la force de votre amour réciproque. Je sais même votre nom : Barnabé !
Ma vocation, monsieur, était de servir autrui, de prêter mon intelligence à autrui et d’encourir le blâme pour autrui – autrui étant généralement un imbécile. J’étais valet de chambre, monsieur. Homme de confiance, si vous préférez. Et j’ai si bien servi, si bien mérité cette confiance que me voilà condamné à braconner pour le restant de mes jours.
Pour être un gentleman, y faut être né gentleman, et fils de gentleman, et p’tit-fils de gentleman. Voilà !… Barnabé, mon gars, t’es fils d’un champion et bien des gens s’en contenteraient. Mais non ! Y faut qu’ta tête soit pleine de bêtises et d’ambitions folles ! Seulement, moi, ton père légitime, j’saurai bien les en faire sortir !
— La faim est, paraît-il, le meilleur des accommodements, et vous deviez avoir grand faim.
— Si j’avais faim ! reconnut-il, mais, monsieur Vibart, j’étais affamé ! Depuis des semaines je suis condamné à ne vivre que de mendicité, d’emprunts et de maigres larcins. Mon seul luxe a été, les jours fastes, un festin de topinambours !
Votre pudeur n’est plus de mise ! Croyez-moi : la plus pure, la plus modeste des jeunes filles ne doit pas avoir honte d’avouer son amour pour un homme tel que lui… un garçon au cœur magnanime… qui vénère jusqu’au sol que vous foulez de vos jolis pieds…
— Tante Priscilla ?
— C’est notre femme de charge. La plus charmante, la plus adorable des femmes de charge. Mais elle a le regard perçant, monsieur Bellew ! Elle vous aimera beaucoup ou pas du tout. Tante Priscilla ignore la demi-mesure.
Ah, ma fière colombe ! Heureux l’homme qui saura gagner votre cœur ! Heureux celui qui vous épousera, ma sombre beauté ! Il devra être fort, courageux et plein d’autorité, celui qui saura éveiller l’amour dans vos grands yeux passionnés !
On peut débattre longuement de savoir si une boucle de cheveux noirs est plus séduisante lorsqu’elle étincelle sous la caresse d’or d’un rayon de soleil, ou lorsqu’elle luit doucement à la tendre clarté de la lune.
Sans relations et sans fortune ? Comprenez-moi bien, mon garçon : il n’est pas un seul gandin, pas un seul petit-maître dans les trois royaumes qui ne soit disposé à sacrifier ses deux jambes pour obtenir sa main.