Citations de John Lewis-Stempel (15)
Rien - ni saint Georges, ni le rugby, ni les sandwiches au concombre ou le cricket sur le pré, n'est aussi anglais que le bœuf, symbole national depuis des siècles. Pour les Français, nous sommes les Rosbifs. La chanson "Le Rôti de bœuf de la vieille Angleterre", écrite en 1731, fut autrefois un hymne national, chanté par le public dans les théâtres.
" Quand le Rôti de bœuf était dans les assiettes anglaises
Il nous rendait intelligents et nous faisait chanter le sang
Nos soldats étaient braves et nos courtisans bons
Oh! Le rôti de bœuf de la vieille Angleterre
Et le rôti de bœuf anglais d'autrefois!"
Rien de mieux que le travail de la terre pour faire pousser et mûrir de la prose.
Dès quej'ai quitté le champ, j'aperçois un geai s'y poser, prendre deux glands dans le bec, puis s'envoler vers le Bosquet, la fuite signalée par le croupion blanc. Le geai enterre les glands. Il peut en enterrer des centaines par jour, comme précaution en vue des intempéries. On a constaté que certains geais avaient enterré quelque trois mille glands et noisettes en un mois. La moitié des chênes de Grande-Bretagne a, par inadvertance, été plantée par des geais. L'oiseau est un planteur d'arbres à l'échelle nationale. Son cri est celui d'une craie frottée contre un tableau noir.
La victimisation du troglodyte semble provenir du rôle de lanceur d'alerte joué par l'oiseau dans la tentative d'évasion de prison du chrétien anglais saint Etienne. Il existe de nombreux autres contes folkloriques à propos des avertissements indiscrets de l'oiseau. Au dix-septième siècle, on raconte quil a sautillé sur un tambour et averti Cromwell d'une attaque surprise des Irlandais. Le son percutant de l'alarme est l'origine du nom de l'oiseau dans le Devon: tric-tric ou tric-trac.
Moins enclins à la fantaisie, les Français persistent à appeler les dents-de-lion pissenlits en I'honneur de leur capacité diurétique. Pour moi, enfant, c'étaient des horloges dont on soufflait sur le cadran de graines pour donner l'heure et prédire l'avenir. Et, d'une certaine façon, les pissenlits donnent l'heure : comme les blanches et fragiles anémones des bois, les corolles se referment la nuit.
Les pissenlits n'ont pas toujours été des herbes folles. À l'ère victorienne, ils étaient cultivés dans des jardins clos de murs et mangés par l'aristocratie qui en faisait de délicats sandwiches.
Les villages du Herefordshire n'avaient rien de pittoresque, au Moyen Age, ce n'était qu'un amas de masures en ruine, faites de bois et d'argile, où les péquenauds du coin insistaient pour brûler du bois de sureau et s'étonnaient de mourir la nuit (brûler du sureau libère du cyanure). Les paysans étaient si pauvres dans ces vallées aux pieds des Montagnes Noires qu'au dix-septième siècle, un gentilhomme du coin, Rowland Vaughan, déclara que c'était «l'endroit du royaume où il y avait le plus de pauvres... J'ai vu trois cents journaliers ou glaneurs en même temps dans le champ de blé d'un gentilhomme...» Les plus démunis glanaient dans le champ à la recherche des épis abandonnés.
Anthropomorphiser les taupes ne date pas d'aujourd'hui. Chevauchant à Hampton Court, le farouche protestant Guillaume III fut désarçonné lorsque son cheval buta sur une taupinière. Le roi se brisa la clavicule et mourut trois semaines plus tard, en mars 1702. Ravis, les jacobites pro-catholiques burent à la santé du «petit gentilhomme en velours noir».
Le souvenir de ces temps demeure dans la mémoire des gens. Tout ce qui est solidement construit, de la porte en chêne cloutée de l'église de Clodock jusqu'à une clôture bien tendue, porte toujours la mention: «Cela empêchera les Gallois d'entrer. » Selon la loi, il est toujours permis, dans l'enceinte de la cathédrale de Hereford, de tirer à l'arc sur les Gallois.
Après environ vingt minutes de cliquetis de la faucheuse à barre, je suis arrivée à bout de la moitié d'un arpent, l'herbe coupée ressemblant à de superbes tresses Tudor tissées de jaune par les boutons d'or, de rouge par le trèfle, de jaune orangé par le trèfle pied-d'oiseau, avec ça et là la touche de rose de la lychnide fleur de coucou, ainsi que le blanc des noisettes de terre et des céraistes des champs. Le parfum printanier de l'herbe coupée est suffisamment fort pour noyer l'odeur de la fumée bleue du diesel. Et le soleil brille dans un ciel si parfaitement bleu que ce doit être le premier jour de le Genèse.
La première vraie gelée automnale transforme le champ en désert blanc et opaque. Il y a des moulages de glace parfaits dans les vieilles empreintes de sabot des vaches. Les doigts engourdis, je cueille des prunelles voilées de brume pour en faire de l'alcool.
Je vois un renard (un des jeunes du terrier) manger une mûre dans le champ marécageux, se tenant sur deux pattes et cueillant la baie en la prenant dans la gueule. Moment merveilleux pour un homme en train de ne rien faire.
Sous les noisetiers du Bosquet un renard (la renarde, je pense) fait toilette, petite braise rougeoyante dans le soleil mourant. Dix mètres plus loin, un lapin assis sur une fourmilière, bien en vue du goupil, fait également toilette, la tête dans les pattes. Ils s'ignorent l'un l'autre. Et le lion se couchera près de l'agneau, le renard près du lapin dans cette fantastique soirée de chèvrefeuille.
Qu'il est agréable de rêver, étendu sur le dos dans un champ, les bras en croix, ce qui semble une posture instinctive, à la fois signe d'accueil et de soumission à la Nature.
L'herbe de la prairie, prise de frénésie, a atteint plus de 30 cm de haut ; en m'appuyant sur les coudes, je flotte dans un océan de verdure, comme submergé par des confettis de fleurs.
Prise dans les toiles des innombrables araignées porte-bonheur, la rosée a couvert le champ entier de minuscules carrés de soie, mouchoirs de gnomes abandonnés dans la prairie.