Citations de Joël Sadeler (23)
Il suffit de poser les mots
Bord à bord
En suivant le fil à plomb
De l'inspiration
Et le mur de la poésie se construit
Enjambement de briques
Ciment symétrique
La truelle rattrape
La rime qui dérape
Lisse l'adverbe rebelle
Et l'épithète qui fait la belle
Le poète est un maçon
Qui du mot fait une maison
Ouverte dans tous les sens
Et à tous les visiteurs du bonheur...
Tu me grondes parce que j'ai les doigts de toutes les couleurs
Noir-polar
Ou jaune-sable des squares
Parfois blanc-banquise
Ou rouge-révolution
Et même bleu-contusion
Tu me grondes et tu te trompes,
Mes doigts je les ai trempés dans l'amitié
Des mains des enfants du quartier
Des enfants du monde entier
Dans le ciel défile
le peloton des nuages
maillots gris
maillots blancs
maillots noirs
soudain l'échappée du soleil
maillot jaune
Tu me grondes
parce que j’ai les doigts
de toutes les couleurs
noir-polar
ou jaune-sable des squares
parfois blanc-banquise
ou rouge-révolution
et même bleu-contusion
Tu me grondes
et tu te trompes
mes doigts je les ai trempés
dans l’amitié
des mains
des enfants
du quartier
des enfants
du monde entier
L'institutrice
Ma plus tendre enfance. Un de mes tout premiers souvenirs, celui qui s'attache à mon institutrice.
J'avais quatre ans. Elle était merveilleusement belle. J'en étais follement amoureux.
C'est mon père qui l'a épousée.
Jean l'Anselme.
EXPLIQUE-MOI...
Aux maîtres à penser
ne préfères-tu pas les maîtresses à
rêver ?
Jean Lor
Je caresse la mappemonde
Je caresse la mappemonde
Jusqu’à ce que sous mes longs doigts
Naissent des montagnes, des bois,
Et je me mouille en eau profonde
Des fleuves, et je fonce avec eux
Vers l’océan vertigineux
Débordant de partout mes yeux
Dans la fougue d’un autre monde.
(Jules Supervielle)
La bouteille d’encre
D’une bouteille d’encre,
On peut tout retirer :
Le navire avec l’ancre,
La chèvre avec le pré,
La tour avec la reine,
La branche avec l’oiseau,
L’esclave avec la chaîne,
L’ours avec l’Esquimau,
D’une bouteille d’encre,
On peut tout retirer,
Si l’on n’est pas un cancre
Et qu’on sait dessiner.
La poésie de juin
Je n’oublierai jamais la poésie de juin
sous les hauts tilleuls de l’école
Les moustaches du chat
sur l’hémistiche de Char
Le vent qui décoiffait la rime
se perdant sur le toit
Au-dessus de la haie des lauriers-palmes
le clocher de l’église attentif à nos âmes.
Et le cadran solaire
corrigeant les fautes de temps
Je n’oublierai jamais la poésie de juin
la poésie sous les tilleuls
ce n’était pas de la tisane…
Dommage
Dommage que la pluie survienne
quand déjà on a l'âme en peine
Dommage que la mer s'en aille
quand on veut aller à la baille
Dommage que le vent se lève
et décoiffe nos plus beaux rêves
Dommage de voir ses amis
partir loin pour une autre vie
Mais
Heureusement que notre cher été
est exact au rendez-vous de l'année
Et que l'automne bichonne en secret
ses champignons et ses marrons grillés
Que l'hiver ramène le blanc sur la terre
et dans la barbe de Noël le Père
Heureusement que le printemps rieur
nous sourit toujours de toutes ses fleurs
Le ciel gris
Le ciel gris
je l’ai mis
dans mon mouchoir
mon mouchoir
dans la poche
la poche
dans la machine
à laver
le ciel gris
est devenu
bleu-nuit
et depuis
j’ai le nez
dans les étoiles
Mon assurance maladie
me prend en charge
pendant dix ans
dix ans c’est long
pour une guérison
mais si la vie me fait crédit
j’en reprendrai bien
pour une autre décennie
Je suis un vieux précoce
et sans force
À soixante ans barbe blanche
cheveux en bataille
maintenant clairsemés
qui se rabibochent
− solidarité capillaire −
sur mon crâne dénudé
doigts gelés
− mains et pieds
toujours fourrés −
L’heure du repas
arrive sans joie
je n’aime que
les rillettes du Mans
à la graisse de porc
à la grâce de Dieu
Mon équilibre est fragile
mes jambes en péril
et il me faut bâton de bois
pour faire quelques pas
Je suis un vieux précoce
et sans force
mais je n’en fais pas une maladie
pardi
je l’ai déjà en moi en ami
mon cancer favori
et il m’emmènera bien
en enfer ou en
paradis
KANGOUROU
Père kangourou
Est en courroux
Mère kangourou
Vient de donner naissance
À trois petits
Qu’elle a appelés
L’oùgourou
Le quigourou
Le quandgourou
(un cousin temporaire)
Père kangourou
Voudrait savoir la raison
De ces prénoms interrogatifs
Mais mère kangourou
Se contente de répondre
Que l’affaire est dans la poche…
L’élève modèle
C’est un élève modèle
a dit l’instituteur.
Quelques-uns ont compris.
Ce sont ceux
qui copient sur lui…
(Marjan)
Dans la classe
Dans la classe bruissent les mots
Langage qui cherche à vivre
Villages où l’histoire ne finit pas
Le temps n’est plus l’ombre de la mort
Les rivières n’ont plus de sources
Elles coulent vers les mers immenses des songes.
(Georges Jean)
Feuilles perforées
Feuilles perforées
quadrillées
spiralées
prêtes à peindre
Entre toutes ces feuilles
qui tournent
tant de visages
nouveaux
à déplier
(Marilyn Leroux)
Par un point situé sur un plan
On ne peut faire passer qu’une perpendiculaire à ce plan
On dit ça…
Mais par tous les points de mon plan à moi
On peut faire passer tous les hommes, tous les animaux de la terre
Alors votre perpendiculaire me fait rire.
Et pas seulement les hommes et les bêtes
Mais encore beaucoup de choses
Des cailloux
Des fleurs
Des nuages
Mon père et ma mère
Un bateau à voiles
Un tuyau de poêle
Et si cela me plaît
Quatre cents millions de perpendiculaires.
(Robert Desnos)
Poésie hebdomadaire
La poésie du lundi
Mardi je la lis
Mercredi je l'oublie
Jeudi je la dis
Vendredi aussi
Samedi je la crie
Dimanche
J'en change
Pour voyager j'invente
des mots-valises
qui m'emportant loin
et sans balises
Je suis jongleur
de mots
avec des lettres
je fais mon numéro