Cinq heures du matin, je mets mon vélo dans le premier métro, pas un blanc. Ceux qui vont nettoyer les bureaux avant que les employés n’arrivent, n’appartiennent pas à la fanatique souche de France. Ces étrangers volent le travail des fantômes. Ces fantômes qui erraient la nuit à passer l’aspirateur pour ramasser les morceaux de carottes râpées égarés sur la moquette, dans l’ombre des néons éteints, ils se faufilaient habilement entre les pieds de bureaux étriqués, traversant les murs pour optimiser leur temps de travail. Mais ça, c’était avant, avant que des hordes de profiteurs n’accostent nos frontières pour prendre le métro à l’aube. Et mettre nos fantômes au chômage.
Le sac Frichti me taillade le dos, il doit peser une dizaine de kilos, à la fin de la journée les bretelles cisaillent mes épaules, aller voir un médecin du travail pour lui en parler ? Il n’y en a plus. Les salariés du siège ont le droit à leur visite médicale obligatoire, pour s’assurer que la peau tendre de leurs coudes ne s’assèche pas sur leur bureau en chêne brut. Impossible de bouger, cloué au lit, même assis j’ai le vertige, c’est la grippe, la forte, celle qui tue les faibles, les vieux et les enfants. Et là je m’affaiblis, je délire, je vois mon âme sortir de mon corps, traverser le plafond, dans un élan de vie je me redresse et la rattrape. Je monte chez le voisin du dessus, je vais crever, il me rassure, me donne des antidouleurs, pas assez puissants. Péniblement, je vais chez le médecin, il me faut de la codéine, il m’en prescrit et me propose un arrêt maladie de dix jours, qu’est-ce que vous voulez que j’en fasse docteur ? Pas assez grave pour ouvrir mes droits, il m’en faudrait trois comme ça d’affilée.