
Je balance mes affaires en boule dans le tambour de la machine et fais tourner une lessive comme un truand efface les traces de son crime.
Je pose en culotte devant le miroir en pied. Une éraflure rougeâtre zèbre mon mollet gauche. Un bleu naît sur ma hanche. Mes avant-bras sont balafrés, mes phalanges ont pris cher. Je me contemple pour la première fois depuis longtemps, imparfaite, encore plus qu’à l’accoutumée. Je détaille chaque blessure puis la désinfecte. Je verse de l’antiseptique sur une compresse, tamponne puis recommence comme si j’effectuais un rituel religieux, une sorte de baptême. Ça brûle, ça pique, ça électrise. Je me regarde encore. Mon corps ressemble à un tronc d’arbre, large, nervuré, avec de gros nœuds dessus, les stigmates du passé semblent jaillir sans prévenir pour consteller mes cuisses et mon ventre. Je suis un chêne qu’on n’a pas aidé à pousser, avec une écorce trop massive pour être caressée. Pellicule de peau sèche, épaisseurs disgracieuses, genoux cagneux. Rien ne me semble beau. Résultat de quarante ans de camouflage réussi. J’en sors comment maintenant ? Je fais quoi contre cela ? Contre un corps que j’ai si longtemps ignoré qu’il a vieilli sans que je m’en aperçoive, contre des ecchymoses d’un autre âge que j’ai préféré dissimuler plutôt que soigner. Il ne s’agit pas d’un concours de beauté, d’une stupide course à la minceur et au bronzage, d’un quelconque diktat sociétal. Juste m’appartenir. M’apprivoiser. Être le Petit Prince de mon renard, jusqu’à m’aimer pleinement, imparfaite, des orteils au sommet du crâne. Jusqu’à guérir.
Je suis prisonnière d'un donjon que j'ai érigé au fil des années. Cette tour a été longtemps vitale.