Je l’ai épousé parce que je l’aime, et je l’aime pour tout ce qu’il me procure. Un toit sans hypothèque au-dessus de ma tête, et un estomac rempli d’aliments bio et nutritifs. Une couverture médicale, une assurance auto, un téléphone portable et Internet. La liberté de ne plus jamais devoir choisir entre avoir froid ou avoir faim. Une vie sans danger, stable et sûre.
Et en vérité, lorsque vous y réfléchissez, la sécurité n’est-elle pas juste un autre mot pour désigner l'amour?
J’ai vu assez de films pour savoir comment se termine ce scénario. Mon cœur s’affole à l’idée qu’il arrive malheur à Jade et aux enfants. Quelles que soient les raisons qui ont poussé ce type à s’introduire de force dans ma maison et à menacer ma famille, j’imagine que c’est parce qu’il n’a pas d’autre option. Il est au pied du mur, et manifestement désespéré. Je refuse de penser aux conséquences si j’échoue.
Seul et hors de vue. Ignoré. Jax s’était leurré dans l’idée qu’il s’agissait d’une sorte de pénitence, alors qu’en réalité, c’était une échappatoire. Lorsque les gens cessent de vous regarder, existez-vous vraiment ? S’effacer était le seul moyen qu’il connaissait pour survivre.
Ces montagnes font autant partie de moi que ma peau et mes os. Ce qui nous lie est aussi réel que les cellules qui se multiplient dans mon ventre. Si je ferme les yeux, je peux sentir le mouvement des plaques sous mes pieds. Les montagnes et moi ne faisons qu’un.
L’interminable récit d’un désastre qu’il se sera infligé, un plaidoyer désespéré pour obtenir un prêt, même si la planète entière sait qu’il ne me remboursera jamais. Comme tout le monde dans cette ville, Chet estime que j’ai touché le jackpot.
Je soutiens son regard, essayant d’avoir l’air intrépide ou du moins courageuse, de le défier même si j’ai envie de pleurer. Je réprime à grand-peine les sanglots qui menacent de surgir de ma gorge. Peut-être que si je pousse les enfants par la porte, je peux le retenir assez longtemps pour qu’ils s’enfuient. Peut-être que si je m’accroche à l’embrasure et que je résiste, je peux me transformer en goulet d’étranglement humain. Cet homme est certes armé, plus grand et plus fort que moi, mais je n’hésiterai pas une seconde. Je me sacrifierai sans regret pour sauver mes enfants.
Ma Beatrix est unique en son genre. Grâce à un coup du destin, au hasard et à la loterie génétique, elle ne deviendra jamais cette enfant normale que le pédiatre m’avait promise. Elle possède ce don fabuleux qu’a une personne sur un million, mais quand on a l’oreille absolue, on entend aussi chacune de ses erreurs. C’est une perfectionniste intransigeante envers elle-même, qui s’avère rapidement contrariée et angoissée lorsque ses doigts ne coopèrent pas.
Mais lorsqu’ils le font, c’est magique.
Le chef a mauvais caractère, tout le monde le sait dans les parages : un obsédé du contrôle qui terrorise son personnel avec des commandements hurlés, des regards glacials et des portes claquées si fort qu’elles finissent par sortir de leurs gonds. À Lake Crosby, Micah est le seul qui ne soit pas affecté par ses coups de gueule permanents ; cela dit, il a eu presque quarante ans pour s’habituer aux crises de son père. Peut-être est-il immunisé, depuis le temps.
Le masque le rend difficile à décrypter. Des yeux animés, une bouche souriante ne cessant de mastiquer – mais rien de tout cela n’est vrai. Cet homme est un comédien, qui passe d’un rôle à l’autre trop vite pour que j’aie le temps de suivre, son comportement est aussi instable que la trajectoire d’un orage d’été, il fait la pluie et le beau temps et peut changer à tout moment. Je n’ai absolument aucune idée de ce qu’il pense à cet instant.
Il faut partir de rien pour devenir comme moi. Il faut souffrir. Mon mari n’a jamais souffert, du moins pas de cette manière. Il n’a aucune idée de ce que c’est que de manger des nouilles chinoises treize jours d’affilée, ou de faire face à une coupure d’électricité en plein hiver. Il n’a jamais eu à se soucier de cela. C’est le principal problème des privilégiés : ils sont aveugles aux luttes de ceux qui existent en dehors de leur bulle.