La défaite ne suffit pas à rendre une cause injuste. Ne l'oublie jamais.
Au cour de cette période, nous avons découvert les biographies d’hérétiques mineurs du XVIe siècle qui s’étaient soustraits au contrôle des princes et des inquisiteurs à une époque où le capitalisme naissait des guerres de Religion. Lorsqu’ils se retrouvaient au prises avec des autorités politico-religieuses, l’une de leurs tactiques favorites consistait à attribuer leurs idées à un mystérieux hérésiarques en faisant croire que leurs esprits simples avaient été contaminés par un jeteur de sorts, qui était en réalité un nom collectif.
L’idée nous est ainsi venue d’unir ces biographies, d’inventer un hérétique révolutionnaire, capable de traverser trente années d’émeutes en changeant sans cesse d’identité, mais également de tromper les nouveaux riches en jouant leur jeu - celui du capital financier, des entreprises commerciales - et même de murmurer des théories hétérodoxes à l’oreille d’un futur pape. De cette façon, nous raconterions aussi la première tentative moderne de révolu sociale : le soulèvement des paysans allemands de 1525, suivi d’une émergence anabaptiste multiforme. Nous parlerions de cette série d’événements comme du prélude des processus révolutionnaire des socles suivants. Révolution et contre-révolution, liberté et contrôle social, expansion des possibilités et contraction des horizons.
Vingt ans après, Wu Ming, p. IV
Le LBP était né alors que les feux de la guerre brûlaient en ex-Yougoslavie. L’identité ethnique et religieuse resurgissait avec force et recommençait à faucher des victimes, tandis que la naissance de l’UNion européenne imposait son tribut de sacrifices aux populations du continent, soit une cure libérale pour effacer le modèle d’État providence de la deuxième moitié du XXe siècle. Le pouvoir des grands banques européennes, en particulier allemandes, prenait le dessus et prônait la liberté de circulation des marchandises et des finances, mais pas des individus, au moment où des colonnes de migrants, fuyant la mort, traversaient l’Europe où s’efforçaient désespérément de l’atteindre.
Vingt ans après, Wu Ming, p. III-IV
Tout a commencé par le Luther Blissett Project, une communauté ouverte de personnes qui, en Italie et dans le monde, utilisaient un pseudonyme collectif, emprunté à un footballeur britannique d’origine jamaïcaine. Dans la seconde moitié des années quatre-vingt dix du siècle dernier, « Luther Blissett » a ainsi signé publications, œuvres d’art, performances, émissions de radio, canulars médiatiques, et revendiqué des actions de guérilla culturelle. À chaque intervention, ce héros populaire unique et multiple voyait croître sa réputation.
Vingt ans après, Wu Ming, p. III