Citations de Laurence Bouvet (33)
C’est-à-dire que ton rire rit en moi
Que ton sourire sourit en moi
Que ta voix est ma voix
Ce mal je m’y pique d’un seul mot cette démarche
Être ce sablier cette fissure je m’y glisse
C’est-à-dire que tu es ce par quoi du sel
Sur la plaie
Du désordre de la vitesse
Sur les éléments épars de ma nature particulière
De l’affolement
C’est-à-dire que ton rire rit en moi
Que tes pleurs pleurent en moi
Qu’il a plu d’un ciel sans nuage
Des lambeaux insoupçonnés
Que ton pas ô rythme de mes pas sur cette neige
Ôtant au décor et l’époque et son âge
Les pleins et les creux courant sur ton visage
L’oiseau noir mesure matin borgne
Le dernier de tes soupirs
Mais la terre délicate
Te prolonge de ses encres déliées
C’est-à-dire que ton rire rit en moi
Que ta mort mord en moi
Qu’il est des moments où je voudrais t’imiter
Mais à moins de mourir chacune à mon tour
Celui-ci n’est pas joué
Déjà ton air roulant sur ma peau d’herbe et de vitre
Ton reflet s’y accorderait
Si les lunes pleines des légendes
Et pour vivre ce que vivent les fantômes
Quand se taisent les loups
PERPÉTUELLE ET NUE L’ÉTOILE
extrait 2
femme faite de plusieurs alcools
de plusieurs nuits superposées
la lune pleine achève son risque
au sommet des montagnes
plus infinie que notre sang
une voix blonde murmure :
chaque dormeuse dans sa langue de craie
sait où puiser ses profondeurs
La parole rassemble ce que le rêve disperse
Cet arbre je m’y colle
Puis j’avance augmentée du silence végétal
Où les solitudes ne sont pas de celles
Qu’il suffit d’effeuiller
Cette marche je m’y tiens
Non pour l’épreuve mais pour les traces
J’avance courant d’air mais le vent doit m’y pousser
Adagio
La ville s’est arrêtée de respirer
Elle a suspendu son souffle au front des étoiles
On dirait qu’elle attend
Bouche bée
Que le jour décline
Les rumeurs, les lumières, les éclats de voix
Affluent en fragments épars
La ville s’est arrêtée de respirer
De grandes artères étirées comme des rayures
Convulsent jusqu’à l’heure de l’aube
Débarrassée de la pesanteur du tracé
L’absinthe dans les veines
Du rêveur sans sommeil
Quand l’infiniment petit rejoint l’infiniment grand
À l’instant précis du passage
La ville s’est arrêtée de respirer
Elle a suspendu son souffle à la tempe du dormeur
Et répand la nouvelle :
La ville s’est arrêtée de respirer
Depuis le martèlement de ses atomes
Sur ma poitrine
Elle n’a jamais retrouvé le battement du monde
L’éternité ne tenait qu’à un fil
Dans la poche où nous rangions
Nos accessoires pour la vie
Deux ou trois boulons quelques écrous
Des clous et des planches
Une pince et un marteau
Des fils à rafistoler
Nos suppliques et nos vœux
Nous avions le nécessaire
Dans la stricte imprécision
Du marcheur sans voyage
Symbiose du poème
J’entends mes fantômes qui me parlent à voix basse.
Ce ne sont pas mes remords. À peine des regrets.
C’est une petite fille qui saute à croche-pied sur la
digue de ma mémoire. Elle me montre du doigt une
femme nue accroupie dans le sable. Sa peau est aussi
bleue que la mer. Lisse et miroitante comme la mer.
La femme est repliée sur elle-même. Le visage d’eau
dans son giron. Corps ovoïde.
Goutte d’écume échappée de l’océan.
//Lydia Padellec (08/07/1976 - )
Je rêve que je désire écrire
Une petite table en un lieu inconnu. Peut être une maison. Assise à cette table nue, tête
penchée, j’attends. L’attente semble être ce pays de la peine. Je suis donc penchée dans la posture du saule muet livrant à la rivière les pleurs qu’elle connaît.
Dans la perplexité de l’instant, mes pensées vont aux circonstances de la mort de Mère.
Une rumination sourde dessine une moue sur mon visage.
Mère passe près de moi. Elle est vivante. Elle est jeune. Elle passe ou plutôt elle glisse.
Elle glisse c’est à-dire qu’elle fend l’air rendu plus lourd de sa présence énigmatique.
Elle a mon âge, là, au moment même du temps où je la perds.
Elle passe. On la voit être dans un petit couloir.
Rien ne s’écrit dans l’espace du rêve, sur la table traçant une frontière entre Mère morte
déambulant et l’endormie qui interroge.
C’est l’ivresse des retrouvailles avec l’enfance. L’ivresse des possessions jalouses. Sans
partage. Ce vertige du retour à la source, qui demeure un parfum, une paume, une épaule pour
la douceur.
En allant se coucher
Belle mort beau visage
N’a pas souffert on dit bien reposée
Comme on dirait
Comme si dormir
Comme si c’était possiblement comme
Ta mèreest morteta mèreest morte
Façon serviette enfant trop sage
Belle tenue beau pliage
En rêve sur le fond d’un ciel gris elle
Se demande elle la morte
Si elle l’est vraiment car
Rien ne prouve qu’elle le soit
On le dit mais on nous ment tellement
Dans quelle ville ?
Dans quelle rue ?
De quel jour s’est-elle défaite
Mon endormie s’est-elle dissoute ?
Vous faites comme si
nous ne savions rien de la peur
de cette lumière sur l’étagère
de ce frémissement d’herbe à nos tempes
rien du vertige à l’échancrure soudé
rien de ce martèlement contre les murs
quand les rires ont cessé
Sous le réverbère
Peu importe d’où vient la nuit
Le soleil n’attend pas
De connaître le nombre des étoiles
Pour briller
L’univers se déploie
Mieux que tes mains caressant
Une boule de cristal
J’ai vu pour preuve
Une âme en toute chose
Comme l’aura d’une flamme
Que l’on fixe
Sans pouvoir l’approcher
À l’ange qui vient sur Terre …
À l’ange qui vient sur Terre, on indique
la vallée des sanglots
Lieu où sont perdues les mères
Il construit un mausolée immatériel
où l’on accède par le temps du rêve
On lui demande un plus vaste sablier
mais l’espérance n’est pas comptée
Il peut inverser le cours des torrents s’il le désire
À lui de voir, à lui de contempler dans les yeux
d’un humain ou d’un chat son propre reflet
À l’ange qui vient sur Terre on demande :
– Restaure l’été universel, celui d’avant la folie,
d’avant l’enfance non résolue
Arbore un sourire
indispensable étui féerique
Les ailes que tu t’es confectionnées
se rejoignent avec patience
//Emmanuel Berland (09/08/1957 -)
Ta nuit est blanche…
Ta nuit est blanche, impénétrablement
Et c’est toujours pareil !
Chaque fois
Qu’elles te reviennent, tes insomnies, et leurs froides suées
T’ensorcellent.
Tu connais leur chant
Il faudrait t’y soustraire.
Or
Sur leur enclume, ton pouls s’emballe qui jusque-là te tenait
Livré aux grandes litanies
Des naissances, des morts, des fièvres, des arrachements…
pêle-mêle
De tes combats, de tes peurs, de tes blessures, de tout ce que
l’ombre renifle
Ton corps n’est plus qu’un champ d’errances
Tourmentée
Par la morsure de ces regards sans nom, veilleurs venus de loin, du…
… Petit tas de tes jours
Et c’est toujours pareil !
Chaque fois,
C’est une lueur d’avant réveil qui déverse
Ses soupçons et l’emporte
Sur le troupeau hébété
Dont on eût dit chaque fois qu’il retournait ses jarres
Après tout, passées au tamis du jour nouveau, que reste-t-il
de ces ombres altérées ?
Qu’un engrais, au mieux une poussière de rêves, où poser tes pas…
Hélas, « Quand ma faible raison ne règne plus sur moi »*
//Geneviève Deplatière
* Phèdre vers 760
Pourtant j’étais riche
Rondeurs des bras rondeurs des seins des hanches
Rondeurs des joues
J’avais une mère
Rondes heures de mon enfance
Ce qui de l’épaule sur sa peau fraîche
Ce qui de l’expression insistant
Dans mes veines sang de son sang
Fière du rouge à ses lèvres
Fière de sa beauté zyeux verts
Femme sans écriture sans mémoire
Vous penchez ce qu’il faut de nerfs
Vers les voleurs de souvenirs et versez
Aux jours filants vos heures cathédrales.
Sous cet air de marbre blanc votre cri
Est une clé dans un trousseau cri-douleur
Cri à la criée votre cri d’orfraie brisant
Vos os de dépouille en sursis votre cri
Comme une craie usée contre un tableau noir.
Vous dites :
Tous les matins sont morts
Rien de ce qui est inhumain ne
M’est tout à fait étranger
Cette puissance commune à tous les désirs que le désir engendre est ce que je nomme la réelle présence.
La lune s'est invitée au bal des lumières
Sur la ville un bain de sang couvre le ciel
De son voile ignifugé / un clocher sur le mont
Hisse son chant de pierre entre deux tours
Dressées en miroir elles savent que
Le soir est mangeur de visages
A une lettre près
Vous n'auriez pas été autre et ce destin grandi
De n'être pas tracé aurair rejoint le fleuve
Pour y noyer le désarroi des pôles
J’ai du avoir quinze ans
dans ce présent de sève et de feu
être pauvre de cette pauvreté d’ânesse
sur un chemin de montagne
à fleur de sol du sel sous la semelle
et d’eaux profuses
qui ruissellent à flanc de nos os :
rêver d’être le chemin
d’être la montagne
l’Edelweiss sur la rocaille
et d’être poète
sans avoir à pleurer
Discrets et dénoncés
à nos joues les contours
nos nudités ne savent plus
quoi de la langue ou du visage
choisir la courbe
le retrait ou l’avancée
l’augure ou l’outrage
le corps étranger trop près
étrangle loin
la prochaine gare est un silence
Partons tels que nous sommes arrivés
scande l’écho au bout du couloir
Ne rien désirer
Pas même le silence
Le trottoir se dérobe sous vos pas
Avant que la chute ne précise sa pente
« J’ai tout perdu, rien ne me manque ! »
Criera le mensonge du fond de son impasse
Votre charme c’était votre solitude et votre style
La preuve de l’existence de Dieu
La forme finale non spécifiée