En d'autres termes, corrigeons expressément ce que je croyais exact en 1910 : il n'y a pas une mentalité primitive qui se distingue de l'autre par deux caractères qui lui sont propres (mystique et prélogique). Il y a une mentalité mystique plus marquée et plus facilement observable chez les "primitifs” que dans nos sociétés, mais présente dans tout esprit humain;
Cependant, si la morale est « fonction » de la société où elle apparaît, elle varie nécessairement avec cette société. Elle est autre dans une société d'un autre type. Elle est différente même dans une société donnée à des époques différentes, ou, à une même époque, pour des classes différentes. Comment, dans une conception de ce genre, le devoir peut-il conserver son autorité ? Comment lui sacrifier sa vie, en se disant que quelques siècles plus tôt ou plus tard, ce sacrifice n'aurait pas été exigé, n'aurait peut-être pas eu de sens ? On respectera encore l'ordre de la conscience, par la force de l'habitude acquise, quand il n'en coûtera pas beaucoup. Mais si l'effort demandé est trop pénible, le devoir aura le dessous. Et ainsi, malgré les explications que nous avons données, la tentative d'une science naturelle des faits moraux reste un danger mortel pour la moralité.
Tuer un serpent, chez les Bagobo, n'est peut-être pas formellement défendu, mais cela est regardé comme imprudent, à cause de l'attitude que la communauté des serpents pourrait prendre à l'égard du coupable.
La science politique suit l'histoire, elle ne la précède pas. Elle systématise ce qui est, et souvent ce qui va cesser d'être. «L'oiseau de MInerve ne prend son envol qu'à la tombée du jour.» Les conceptions politiques des philosophes reflètent souvent le passé, plus souvent le présent, mais jamais l'avenir.
En un mot, l'attitude de la mentalité primitive en ce qui concerne l'induction est la même qu'en ce qui concerne la déduction. Elle ne saisit pas plus les lois que les concepts. Elle se conforme à l'ordre de la nature dans ses activités ; il le faut bien, sous peine de disparaître, et les animaux aussi, dans la nature plus restreinte où ils se meuvent. Mais de cette sagesse pratique des animaux (trouver leur nourriture, un abri, fuir leurs ennemis, etc.) nous ne concluons pas qu'ils aient la moindre idée d'une nature, ni que leur pensée se règle sur des principes logiques. Le cas de l'homme est différent. Il déduit, il induit. La mentalité primitive le fait autrement que nous ; elle a d'autres habitudes mentales : ce sont ces habitudes qu'il faut pénétrer.
Les mythes « primitifs » dont nous disposons sont, en général, incomplets et fragmentaires. Un petit nombre seulement de personnes, dans une tribu, en possède une connaissance étendue. Ce savoir est le privilège des hommes d'âge, qui, après avoir passé par les stades successifs de l'initiation, se sont mariés et ont des enfants. Chacun d'eux en connaît un plus ou moins grand nombre. Mais souvent il n'en sait ni le commencement ni la fin. Ou bien des parties importantes lui en manquent. Il est rare que d'un seul informateur on puisse obtenir un mythe en entier.
Le souci, parfois voilé, toujours présent, du primitif est d'échapper aux influences malignes, et de n'encourir la défaveur d'aucune des puissances invisibles de qui dépend son bonheur ou son malheur. Les observateurs en ont fait plus d'une fois la remarque. M. Saville par exemple, qui a longtemps résidé chez les Papous de la Nouvelle-Guinée anglaise, l'exprime en ces termes : « Du commencement à la fin de la vie de l'indigène, règne la crainte de la mauvaise fortune, individuelle et sociale. C'est M. Marett, je crois, qui signale que dans les sociétés inférieures la crainte du malheur peut devenir une panique... Rien ne saurait mieux rendre l'état actuel, au point de vue psychologique, de la société à Mailu. Toute la vie mentale y est imbue du sentiment qui s'exprime par : “ Touchez du bois ! ” »
Il y a ainsi des moments où les puissances invisibles hostiles, où les influences malignes se manifestent de préférence. Elles y sont plus immédiatement présentes, plus actives, plus dangereuses. La prudence exige donc qu'alors on se tienne coi, que l'on s'abstienne de rien entreprendre, en un mot qu'on ne donne pas prise sur soi à ces forces ennemies, qui s'empresseraient de saisir l'occasion offerte. De là proviennent les tabous bien connus, qui à des moments déterminés interdisent telle ou telle action, ou même toute activité de quelque sorte qu'elle soit.
Il n'y a pas d'idée dans notre esprit plus claire, en apparence, que l'idée de la responsabilité. Il semble qu'elle nous soit donnée immédiatement par la conscience, avec l'idée du libre arbitre : nous savons que nous sommes libres, par une intuition directe. Au moins ce témoignage de la conscience est-il si universel, si spontané, que les partisans du libre arbitre y trouvent une preuve de sa réalité objective.
Pour conclure, écrit M. Elkin, nous pouvons dire que les peintures wondjina ont pour fonction d'assurer le retour régulier de la saison des pluies, la reproduction normale des animaux et des plantes comestibles, et peut-être aussi de choses utiles, comme l'ocre, l'influence du soleil, et la disponibilité d'un nombre suffisant d'enfantsesprits (qui entreront dans le ventre de femmes et naîtront à la fin de leur grossesse). Le rôle de l'homme est de retoucher, et peut-être, à l'occasion, de repeindre les têtes et les ornements, et de peindre, sur les roches de ces galeries, les objets et les animaux ou les plantes qu'il désire. La vertu de ces peintures wondjina provient du fait qu'elles sont ungud, c'est-à-dire qu'elles appartiennent à la période de ce lointain passé (mythique), qui était « créateur. Pour la prospérité du présent, il est indispensable de garder le contact avec cette période, et que la continuité demeure ininterrompue.