Gwen s’efforçait donc de ne pas mettre George en colère. Ce n’était qu’une question de préparation, d’anticipation de ses besoins et de ses envies : les repas prêts à l’heure, les boîtes en fer-blanc bien remplies de ses biscuits favoris, la maison impeccable, l’argent des bouquets de fleurs remis en main propre chaque semaine, des sourires et des hochements de tête à tout ce qu’il disait. Ce n’était pas sorcier, dans le fond.
Immobile dans le silence et la pénombre, Joy laissa le nœud noir continuer à se desserrer. Le matin à l'église (qui ne méritait dorénavant plus son É majuscule), ils avaient tous répété comme des moutons : « Heureux les doux, car ils possèderont la Terre ». En y repensant, Joy n'éprouvait qu'un violent sentiment de mépris. Les douces Joy Henderson de ce monde ne possèderaient jamais la Terre. Elles se faisaient briser et fouler aux pieds, précisément pour leur douceur. Et dieu, par l'entremise du révérend (qui ne méritait dorénavant plus son R majuscule), leur répétait, leur exhortait, leur commandait de rester douces en leur faisant miroiter d'impossibles récompenses, tout en protégeant le règne de non-doux, les George Henderson de ce monde.
Elle se demanda pourquoi son père avait eu des enfants. Et puis pourquoi Dieu avait eu un fils s’Il savait qu’un jour quelqu’un allait lui clouer les mains et les pieds pour le laisser agoniser et se vider de son sang en plein soleil. C’était pire que ce que son père faisait à Mark.