Etats Généreux : Les débats à Marseille (2/3) .
Débat : Sortir de l'entre-soi culturel, faire advenir la diversité? Animé par Emmanuelle Bouchez et Jean-François Chougnet. Avec Macha Makeïeff (Théâtre de la Criée, Marseille), William Benedetto (cinéma L?Alhambra, Marseille), Houda Benyamina (cinéaste, Divines), Claire Lasne-Darcueil (Conservatoire d?art dramatique, Paris), Marc Rosmini (Les Philosophes Publics, Marseille), Kader Attou (CCN La Rochelle).
Extraits de l'émission de France Culture "Michel Piccoli, le jeu qui pense".
A propos du film "La grande bouffe" de Marco Ferreri
Quelque chose qui a mis très mal à l'aise les spectateurs et les critiques de ce film, c'est que les personnages inversent la fonction classique et la nourriture : Ferreri a dit "si on ne mange pas, on meurt", mais là, ils mangent pour mourir... on ne saura jamais pourquoi ils se suicident, il n'y a aucune explication, ni psychologie. Je relie ce film avec les écrits de George Bataille, notamment "La part maudite" qui s'interroge sur une universalité des rites de gaspillage, de dépense, de sacrifice ; mais dans "La grande bouffe", ce gaspillage et ce sacrifice n'est justifié par aucun discours idéologique ou religieux.
"La grande bouffe", c'est : Ramener l'Homme dans sa dualité entre sa part physiologique et sa part culturelle... C'est l'usure d'un monde, d'un modèle de société (1973) qui s'est construit autour de la consommation des biens et des services, qui trouve son achèvement dans la fin d'un monde, celui des "Trente Glorieuses"... C'est un film qui nous questionne sur le sens de notre existence... C'est le cynisme moral de notre société et une absence de finalité qui se révèle très angoissante.
Si un individu pense que sa façon de cuisiner, ou plutôt de choisir et d'acheter des aliments, peut avoir un impact sur l'avenir collectif, c'est qu'il fait l'hypothèse que les autres consommateurs vont agir de la même manière, on peut qualifier de kantienne cette attitude, en référence à l'impératif catégorique du philosophe allemand : "Agis comme si la maxime de ton action devait être érigée par ta volonté en loi universelle de la nature". Autrement dit, chacune de nos décisions doit être soumise au "test" de l'universalisation. Selon Kant, il faut s'interdire toute action qui conduirait à une contradiction si le principe qui l'inspire devient la norme commune. (...) Le mangeur slowfoodien peut-il alors se définir comme un "citoyen du monde" ?
L'Homme demande aux choses : "Que signifiez-vous?" Mais les choses restent muettes. Alors il faut bien conférer un sens à ce monde insensé : il y aura les objets maléfiques et les bénéfiques, ceux qui sont adorés et ceux qui sont interdits, ceux qu'on peut voire qu'on doit , manger, et ceux qui ne devront pas l'être. Ainsi avons-nous pu constater les usages divers que les hommes peuvent faire des fèves, du porc, du chien, du miel ou de la viande humaine.
Devant tous ces exemples, une conclusion s'imposait selon [Mary Douglas] : les interdits alimentaires des religions ne peuvent être expliqués par des motifs sanitaires. Ils relèvent bien de la culture, et non de la nature. Dans ce cas, comment expliquer la tendance, si répandue, à vouloir rationaliser les interdits religieux ? Ne s'agit-il pas d'éviter le sentiment d'arbitraire, voire d'absurdité, que peuvent inspirer ces règles ?
Autre hypothèse : le rapport que nous entretenons avec la viande ne révèle-t-il pas la façon dont nous vivons notre propre animalité ?