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Citations de Marianne Desroziers (25)


En dépit de la diversité de leurs âges — de dix-sept à quatre-vingt-douze ans —, de leurs appartenances sociales — de l’ancien SDF à l’héritier d’une grande dynastie du vin — et de leurs styles vestimentaires — de l’excentricité de la panoplie tongs-chemisette hawaïenne-bermuda au mois de mars au classicisme snob d’un col roulé noir —, il faut se rendre à l’évidence : le revuiste est en quasi exclusivité un mâle, la femelle semblant exclue de fait de cette activité virile consistant à produire un objet à connotation intellectuelle. Ne soyons pas injuste ni caricaturale : quelquefois le revuiste mâle, dans sa grande bonté, consent à laisser sa femelle plier, assembler, agrafer, coller, voire coudre l’objet si précieux qu’il a conçu et couvé en son sein des mois durant, rognant pour ce faire sur ses heures de sommeil, en prenant garde de ne jamais descendre en dessous de dix-huit. Lourde responsabilité pour la femelle, cet être inférieur et
stupide qui, souvent, il faut bien l’avouer, ne se révèle pas à la hauteur de la tâche. En effet, s’il n’est pas rare de tomber sur une feuille pliée de travers, de se salir les doigts sur de la colle qui a débordé, de découvrir horrifié une agrafe manquante, voire un fil cassé : il y a fort à parier que ce soit
l’œuvre d’une femelle en plein syndrome prémenstruel. Heureusement, les jours de fête — comprenez ceux où le revuiste reçoit par on ne sait quel miracle une commande —, il peut compter sur la femelle pour s’acquitter
de la tâche qu’elle accomplit encore le mieux : aller à la poste.
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La vallée. Du vert à perte de vue. Un camaïeu de vert. Du vert bouteille au vert tendre, en passant par le vert amande, vert menthe, vert pomme, vert anis, vert olive. Patchwork de champs se fondant dans la forêt. L’îlot de
maisons regroupées sur un mont, autour d’un vieux clocher : un décor miniature, une maquette de village. Les moutons et les vaches s’égayant gentiment dans les pâturages : des jouets pour enfants se rêvant fermiers. Plus loin, au-delà de ce que le regard peut embrasser, on devine des paysages moins domestiqués, une sauvagerie de la nature et des hommes : un terreau pour les poètes. Une matrice pour les âmes exaltées. Des landes, des coteaux, du vert, du brun, du vent, de la pluie, de la brume. À condition d’imaginer les rochers, la bruyère mauve, des ajoncs, la fougère des moors, le roman Les Hauts de Hurlevent pourrait bien avoir été écrit ici. Mais après tout, la réalité des perceptions importe si peu quand on possède la puissance de l’imagination. Ce n’est pas Emily, vierge solitaire ayant passé sa vie à s’occuper des tâches ménagères, de ses animaux, et à s’inquiéter pour son frère qui dirait le contraire. J’aperçois sa silhouette, marchant à grandes
enjambées avec son dogue Keeper sous le ciel gris traversé d’oiseaux migrateurs.
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Marianne Desroziers
Mue par une excitation nouvelle, Esther se laissa emporter par le flot des mots comme libérés par l’effondrement d’une digue. Le stylo glissait tout seul sur la feuille, avec l’agilité d’un acrobate ou d’un funambule, s’arrêtant brusquement, déstabilisé quelques secondes mais retrouvant à chaque fois son équilibre. De manière irrégulière, imprévisible, elle levait la tête pour regarder par la fenêtre, à la recherche de l’image, du mot, du son adéquat. Arrivant tout en bas de la feuille, elle la retourna par réflexe mais au dos il y avait du texte imprimé, l’obligeant à extirper une autre feuille de sa réserve de brouillon, dans le premier tiroir du bureau. Replongeant dans l’ambiance, la mélodie de son poème, elle continua d’écrire quelques dizaines de minutes puis s’arrêta net, épuisée. La demi page du poème initial s’était allongée
jusqu’à trois pages. La boucle était bouclée, le poème terminé. Elle se redressa sur sa chaise, le dos bien droit appuyé contre le dossier, elle inspira, expira profondément puis s’étira à la manière d’un chat. La luminosité presque aveuglante du milieu de journée avait nettement diminué au profit d’une clarté douce de fin d’après-midi automnale. Une sensation d’apaisement après une forte tension avait envahi
Esther : elle se diffusait dans chacun de ses membres, dans tous ses muscles, jusqu’aux méandres de son esprit.
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Esquisse de portrait d’écrivain :
Petite dame, au corps mince et nerveux, ramassé, compact, un profil d’oiseau de proie, tout en angles, sculpté dans la pierre, elle distille l’austérité sereine et solide de son pays natal. Approchant la soixantaine, professeure de français en province, écrivain reconnue, récompensée, traduite. Elle fascine par sa parole, le choix des mots, la justesse de son
expression, sa cohérence, sa détermination. On n’ose pas douter une seule seconde de ce qu’elle dit. Si elle dit qu’on n’écrit pas avec des idées, c’est qu’on n’écrit pas avec des idées. Si elle dit que le corps du personnage est premier, primordial dans sa façon de bouger, de regarder l’autre dans les
yeux, de détourner le regard vers la droite ou vers la gauche, de toucher, de se laisser toucher ou au contraire d’éviter le contact, elle ne peut avoir tort. Oui, bien sûr, c’est ça ! Elle a raison : c’est comme ça qu’il faut faire pour que ça marche dans un roman ou une nouvelle, il n’y a pas d’autres moyens.
Cette écrivain me séduit au plus haut point : tout en elle est admirable, j’aimerais être elle. Il émane d’elle une grande confiance dans la littérature et le pouvoir des mots. Je comprends aussi qu’elle a une très haute opinion de la fiction, de sa capacité à dire le réel. Elle est habitée par une croyance
millénaire dans la fonction de l’imagination, des histoires racontées oralement. Sa belle assurance n’a rien à voir avec l’orgueil de tous ces auteurs autosatisfaits jusqu’à l’écœurement. Cette écrivain, c’est une star, c’est Mick Jagger. D’ailleurs, le public très nombreux se lève pour l’applaudir. Cette femme est mon héroïne, mon modèle, ma déesse païenne.
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Marianne Desroziers
Dans le compotier posé sur la table de la cuisine, des moucherons tournaient autour de fruits presque blets qu’elle ne se décidait ni à manger ni à jeter, victime consentante de son indécision quasi pathologique. Esther avait pourtant l’impression d’avoir acheté ces pêches, ces poires la veille ou l’avant-veille : comment pouvaient-elles être déjà trop mûres ? Le temps était une notion vague et imprécise qu’elle avait le plus grand mal à appréhender. Absorbée par ses lectures et sa réflexion sur sa thèse, elle oubliait régulièrement de se laver, de manger et de dormir.
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Tandis que le café refroidissait sur un coin du bureau, son regard se perdit de l’autre côté de la fenêtre. Le paysage qui s’offrait à elle se composait d’un ciel bleu saupoudré de quelques nuages en sucre glace, rangées de tuiles biscuits orangées, praliné de lierre grimpant sur les façades en pain d’épices agrémentées de pigeons en pâte d’amande, de pies en chocolat noir et chocolat blanc. Les antennes râteau, paraboles, cheminées, vasistas n’excitaient guère son imagination : elle les voyait à peine. Le réel lui parvenait modifié, filtré par le prisme de l’imaginaire. Elle avait passé des heures à regarder par cette fenêtre, cherchant un signe, une clé, une explication pour décrypter ce monde qui lui paraissait souvent incertain, difficile à comprendre, empli de pièges, chausse-trappes, trompe-l’œil. La vue sur les toits lui permettait de prendre de la hauteur, d’être en surplomb, de s’extraire du monde. La distance entre les choses et elle s’avérait de plus en plus élastique : si elle semblait vivre en dehors de la réalité matérielle, baignant dans la sphère rassurante des idées, quand le réel la heurtait, c’était de plein fouet et la rudesse du choc laissait des traces. Mais, plus solide que sa frêle apparence ne le laissait présager, elle finissait toujours
par se relever pour repartir au combat.
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Marianne Desroziers
C’était un magnifique renard polaire, dont les yeux et le museau foncés contrastaient avec son pelage blanc qui se confondait avec la neige. Paul s’arrêta net, fasciné par l’animal. Le renard semblait méfiant, il restait à distance. Il a peur des humains, en déduisit l’enfant. Pour le rassurer, mieux valait ne pas bouger du tout : il ne fit plus aucun geste, les muscles de ses jambes tendus comme des arcs, son tronc, ses bras et sa tête immobiles. Il regardait le renard. Le renard le regardait. C’était un jeu. Le premier à bouger aurait perdu. Le temps était suspendu. L’enfant osait à peine respirer, de peur de rompre l’équilibre de ce moment de grâce. La nature elle-même s’était arrêtée pour ne pas déranger la rencontre entre l’animal et l’enfant. Paul entendit alors une douce musique, celle des rimur, ces poèmes épiques traditionnels. Il ne comprenait pas ce que cela signifiait mais le sens importait peu. Il se laissait traverser par les voix féminines chantant a capella. 
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Marianne Desroziers
Aussi loin qu’il pouvait remonter dans sa mémoire, Simon avait toujours rêvé de partir à la conquête des océans. Sa chambre d’enfant voyait se côtoyer d’innombrables maquettes de bateaux et des posters de voiliers comme de catamarans. Des piles de magazines spécialisés s’entassaient sur son bureau, entre une vitrine abritant des coquillages et des étagères dédiées à de beaux livres sur la mer, les voyages, la faune aquatique, sans oublier les biographies ou mémoires de navigateurs ainsi que les romans d’aventures maritimes. 
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Le train avait desservi deux gares quand il s’immobilisa en rase campagne. La seule information qui leur fut donnée invoqua un arrêt en pleine voie, sans plus de précision. Il leur était interdit d’essayer de descendre. Nombre de passagers maugréèrent à cette annonce. Dix minutes plus tard, le train n’avait toujours pas bougé, sans qu’aucune voix n’ait résonné dans les haut-parleurs. Le contrôleur qui arpentait les voitures commençait à être mal à l’aise. Chacun l’interpellait pour lui poser des questions auxquelles il n’avait pas de réponse, il préférait donc faire la sourde oreille plutôt que d’engager une conversation désagréable. L’ambiance était de plus en plus tendue. Les gens se plaignaient, juraient ou partageaient leur exaspération avec leurs voisins. Les téléphones portables sonnaient de toute part, les voyageurs énervés parlaient fort, créant un insupportable brouhaha.
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Marianne Desroziers
Le bâtiment se dressait fièrement derrière le parc, tel un temple païen édifié au culte de l’art. Devant sa façade, un monument à la mémoire de Schiller, réalisé pour le centenaire de sa mort, les accueillit. L’enfant ressentit au fond de lui la force inouïe qui se dégageait de cet ensemble. Tout était majestueux, admirable au point d’en être effrayant. Il en avait le souffle coupé, la gorge sèche. Mark vivait dans un petit appartement du quartier ouvrier, à l’autre bout de la ville. Il n’était pas habitué à admirer de tels édifices, si hauts, si beaux. Dans son quartier, il n’avait sous les yeux que des squats tagués et des maisons laissées à l’abandon. Il resta un long moment à admirer la façade, comme hypnotisé.
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Et cette impression persistante qu’il y a quelque chose sous les fleurs de la tapisserie, sous le lit rose à baldaquin, sous le bureau parfaitement rangé, sous la bibliothèque aux livres scrupuleusement classés par ordre alphabétique, sous le tapis à l’odeur d’assouplissant à la lavande, sous les lattes en bois du parquet impeccablement ciré de sa chambre. Il y a quelque chose d’autre sous les apparences trop lisses, trop propres, trop ordonnées de la maison d’Alicia.
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Au milieu des enfants, d’autres enfants — les mêmes, mais différents. Eux ne sentaient pas la pluie sur leur peau. Ils étaient insensibles à la lumière du soleil. Ne différenciaient pas le jour de la nuit, l’été de l’hiver. N’ayant jamais froid ni chaud, ils se baladaient à moitié nus, vêtus de feuilles et de branchages. Ils voyaient tout le monde mais nul ne les voyait. Leurs sens étaient surdéveloppés. Ils percevaient les couleurs de façon plus intense : les plumes chatoyantes des perroquets vivant là leur faisaient mal aux yeux. Ils entendaient mieux les sons que le commun des mortels : ils pouvaient détecter le moindre bruit de pas dans l’immensité du parc.
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Deux filles en chaussettes blanches

Première photographie
Septembre 69
Chaussettes blanches
Jusqu'aux genoux

Robes courtes et cintrées
A fleurs ou à carreaux
Cheveux lâchés
Lunettes posées sur la tête

Pieds écartés
Mains tenant le foulard
Souple, décontractée
Heureuse, tu souris

Deuxième photographie
Cheveux tirés en arrière
Jambes serrées
Bras le long du corps

Une main crispée
L'autre enfouie dans l'arbuste
Air exaspéré
Comme cette photo vingt ans plus tard

Devant les dahlias dans le jardin
Ce même air des mauvais jours
J'aurais aimé que ma mère
Soit celle de la première photographie
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Les poules

Photographie noir et blanc
Toi et ta sœur Brigitte enfants
Les sœurs inséparables

Proies faciles pour les poules
Vous êtes sur leur territoire
Vous leur donnez des graines

Vision cauchemardesque
Poules déchiquetant les enfants à mort
Amas de sang et d'organes sur l'herbe
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La mini-jupe jaune

Tu marches en lisière
Sur le fil comme toujours
Craquement des noisettes
A chacun de tes pas

De l'autre côté du chemin,
La musique du vent
Le maïs danse sa chorégraphie
Dans ta tête c'est Hiroshima

Tu ne laisses rien voir sur la photo
Juste tes années 60
Mini-jupe Mary Quant
Bottes Brigitte Bardot
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Liberté Années 50

Enfance effrontée
Garçon manqué
Faim au ventre
Regard noir
Genoux écorchés

Sans peur
Tu montais aux arbres
En quête d'aventures
Enfance passée
Jeunesse dans la foulée

Ton destin n'était pas
De devenir vieille dame
A l'aube d'un millénaire,
Sur la pointe des pieds
Tu t'es retirée


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La nuit, elle se régalait de terre. Ç'avait le goût d'aliments qui faisaient son délice : le café, les betteraves, les salsifis.
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Mieux qu'une citation, une des nouvelles du recueil lue par Sagine sur son blog
http://mesyeuxvosoreilles.free.fr/103-couverture-MDesroziers.html
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Tel Le Passe-muraille de Marcel Aymé, je traversai la couverture mais au lieu de me retrouver sur le fauteuil comme je m’y attendais, j’entrai de plain-pied dans une couverture : De sang-froid. Récit véridique d’un meurtre multiple et de ses conséquences de Truman Capote, traduit de l’anglais par Raymond Girard, NRF, Gallimard, collection Du Monde entier, première édition de 1966. Merde déjà lundi ! La femme de ménage était venue et avait trouvé le livre sur le fauteuil. Avec sa manie de tout ranger – je lui ai dit mille fois de ne pas toucher aux livres – elle l’a placé machinalement dans la bibliothèque. Impossible de sortir en se faufilant entre deux livres : ils étaient trop serrés, depuis toujours, une manie. Je ne supportais pas de voir un espace entre deux livres dans ma bibliothèque, ça me chiffonnait ces béances : si la nature a horreur du vide, pourquoi pas la culture ? Les plaines à blé de Holcomb, ce n’est pas vraiment l’endroit rêvé pour passer ses vacances, cela aurait pu être pire : je n’étais ni Perry Smith, ni Eugene Hickock, mais un nabot fantasque à la drôle de diction, ce qui me permit d’arriver en vie à la dernière page, la 421.
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il y a les souvenirs sans photo pour les matérialiser, les authentifier : toutes ces pies sur le cerisier de mes grands-parents le premier jour de l’été 1962 ; ce truc bizarre que j’ai vu dans le ciel avec mon frère, en rentrant du cinéma, un soir d’hiver en 1971 ; ces paysages magnifiques du Vercors, qui m’ont éblouie à une période où plus grand-chose ne le pouvait ; et tous ces regards croisés par hasard qui m’ont bouleversée, les géographies intimes des corps – un grain de beauté derrière l’oreille, une cicatrice au poignet droit, la forme d’un nombril. Heureusement, tous ces moments de bonheur fugaces, peut-être les meilleurs souvenirs finalement, sont absents des photos et des négatifs, reproductibles à l’infini sur du papier mat ou brillant. Je veux les garder pour moi, je n’ai pas envie qu’ils se retrouvent dans les tiroirs de Chloé, dans l’album familial, ou dans ma jolie boîte en tissu au milieu des autres qui jaunissent cruellement
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