Je connais très mal la Révolution mexicaine. Les seules images que j'en ai proviennent de westerns italiens. Autant dire que ma vision de ces événements est très réduite. "Ceux d'en bas" de Mariano Azuela n'a pas comblé mes lacunes historiques mais a été une très bonne lecture.
Ceux qui s'attendent à un récit épique seront sans doute déçus. "Ceux d'en bas" n'est pas un récit romanesque au souffle lyrique. Là n'est pas son propos. "Ceux d'en bas" n'est même pas à proprement parler un roman. Il s'agit plutôt d'un récit de tranches de vie, d'instantanés de la Révolution.
A l'image des dessins de Diego Rivera et José Clemente Orozco qui illustrent joliment la belle édition proposée par l'Herne (que je remercie ainsi que Babelio pour cette opération masse critique), l'auteur esquisse des scènes de vie des révolutionnaires. Loin des grandes figures mythiques de la Révolution, Azuela s'attache à dépeindre les petits, ceux qui vivent, se battent et meurent dans la poussière, vêtus de frusques usées, ceux d'en bas. Le lecteur est plongé au milieu d'hommes rustres, peu instruits et va partager leur dur quotidien.
Azuela a été taxé d'être contre-révolutionnaire. Cela n'est guère étonnant. Les esprits étriqués veulent trop souvent simplifier les choses à l'extrême et ont besoin de ranger dans des cases. Le texte d'Azuela n'offre pas une grille de lecture facile, il est trop subtil pour faire l'objet de raccourcis. S'il ne cache rien des exactions et de la brutalité des révolutionnaires, le taxer d'anti-révolutionnaire me parait aberrant. Certes Demetrio et ses hommes pillent, tuent, se montrent violents. Cela ne retire rien au bien-fondé de leur sentiment d'injustice. Cela n'amoindrit pas la légitimité de leur colère.
Avec "Ceux d'en bas", Azuela dessine un portrait juste de ces hommes insoumis, aussi libres et sauvages que les paysages qu'ils traversent. Paysages qui sont magnifiquement décrits par l'auteur. La lecture de ce texte est très sensorielle, on sent la poussière qui pique les yeux, on ressent la brûlure du soleil du désert, on entent les rires et les cris... L'écriture d'Azuela est puissante et évocatrice. Belle aussi, élégante, poétique tout en étant fluide et humble. Le style n'est jamais ampoulé.
Demetrio, la Caille, le Negro, Cerventes et les autres, ils resteront dans ma mémoire. Ces hommes qui n'entendent rien à la politique, qui sont nés sans rien, qui ne savent que survivre. Ces hommes qui n'ont même plus réellement d'idéal, pour qui la Révolution devient un but en soi. Lorsqu'un des hommes se demande pourquoi ils doivent continuer de se battre, les autres rient de sa candeur, "parce qu'enfin, si on a un fusil dans les mains et les cartouchières pleines de balles, c'est pour se battre évidemment. Contre qui ? En faveur de qui ? Ça n'a jamais préoccupé personne." Rustres, grossiers, brutaux mais courageux, fiers, ils continuent, ils marchent encore, ils marchent toujours, ils sont les "maîtres de la vallée, des plaines, de la sierra et de tout ce que la vue peut embrasser".
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Mariano Azuela fait partie de ceux que l’on a appelés « les romanciers de la Révolution ». Il a vécu de près la Revolution mexicaine en tant que médecin auprès de troupes de Pancho Villa. Son roman, que je relis en v.o., écrit en 1916, est un témoignage direct, sans le moindre recul, d’événements pris sur le vif. Son écriture par sa sécheresse expressive, sans le moindre jugement, sans ornementation, est d’une grande efficacité. Alternance des dialogues dans la langue de « ceux d’en bas » et de la narration à la 3éme personne du témoin présentiel qu’est l’auteur.
● Toute la première partie est dominée par une note épique et triomphale. Cependant les évocations de la brutalité, de la violence et de la barbarie des protagonistes abondent tout comme les allusions aux ambiguïtés morales des chefs et de leurs partisans.
● Dans la deuxième partie on passe, sans transition, de la bataille victorieuse qui clôt la première partie à sa célébration dans un restaurant. Bref, on passe de la bataille à la fête et du sang à l’alcool.
Et comme à la guerre « tous sont possédés par la violence et la frénésie » selon l’expression de O. Paz.
Dans cette partie le ton change. A la victoire et à l’espoir succède une tonalité plus sombre, plus désenchantée. Y sont évoqués tous les excès des vainqueurs : les pillages, le sexe, les viols, les assassinats, les beuveries, les rixes mortelles, la corruption, les abus, la vengeance. Autant de forfaits qui montrent une dégradation des idéaux de la Révolution.
● La troisième partie, très brève, est comme l’épilogue de ce roman. Six mois ont passé.
Le roman s’achève sur une nette impression de défaite et de vide. La Révolution semble terminée et il n’y a plus d’espoir, les objectifs n’ont pas été atteints, les promesses se sont évanouies et tout redevient comme avant. L’action guerrière cesse presque complètement et nous assistons à la débandade des troupes après la défaite de Villa. Les révolutionnaires, ceux d’en bas, sont maintenant des bandes de desperados à la recherche d’un refuge, de pain et d’eau. Mais les villages par lesquels ils passent, dévastés et lassés par tant de violence, leur sont maintenant hostiles.
J’avoue que ces descriptions horribles, ces épisodes sanglants, ces massacres inutiles où les combattants font montre d’une férocité inouïe m’ont lassé et dégoûté.
● Je ne dévoilerai pas la fin de l’histoire. Je dirai simplement que je suis sorti de ce roman tout couvert de poussière, de crasse et de sang. Et j’ai assisté au triomphe des instincts primitifs de l’homme et de sa furie destructrice. « Ceux d’en bas » loin de conserver leur dignité et de défendre leurs droits n’ont su que s’embourber dans une orgie de sang et de destruction. Et je me suis dit : « Tout ça pour ça ! ». Ėchec sur toute la ligne ! Mais, même si l’échec est patent, si les idéaux révolutionnaires sont passés à la trappe, si « ceux d’en bas » sont morts ou ont été floués, le concept de Révolution, lui n’est pas mort comme « cette pierre -que lance le protagoniste - et qui continue de rouler. »
Toutefois, cette Révolution mexicaine d’inspiration paysanne (Villa- Zapata) qui va voir finalement le triomphe de la bourgeoisie (Caranza- Obregón) est un exemple clair que Los de Abajo sont toujours les cruels dindons d’une farce bien cruelle...
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Los de abajo est le point de départ du "roman de la révolution mexicaine", avec une écriture romanesque réaliste traditionnelle, celle d'un auteur nourri de littérature française du 19ème siècle et admirateur de Zola, mais aussi imprégnée d'un souffle épique : laconisme percutant des dialogues, apports de la langue populaire mexicaine, concision des scènes de violence, vision fataliste de la condition humaine, stature mythique du personnage central, nature grandiose en opposition à la vanité humaine, contribuent à une vision désenchantée et pessimiste de l'auteur et influenceront durablement les oeuvres et films qui par la suite aborderont le même sujet. Mariano Azuelo analyse de façon exemplaire une révolution anarchique, idéologiquement hétérogène, extrêmement violente, désorganisée parce que largement spontanée et contre laquelle la répression sera cent fois plus féroce. Ce que Mariano Azuelo, derrière sa vision sans concession, souvent acerbe, laisse transparaître de cette insurrection populaire, c'est son humanité : peu importe les fracas des défaites, cette révolution, ils l'ont faite.
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Livre lu dans le cadre de la 12ème édition de Masse Critique.
(et encore un grand merci à Babelio!)
Ceux d’en bas
de Mariano Azuela
Edition de L’Herne
«La Révolution est un ouragan, et l’homme qui se donne à elle n’est plus un homme, mais une misérable feuille emportée par le vent...»
Pour la grande histoire. Celle d’en haut.
1913. Mexique.
A la tête des «fédérés», suite à un coup d’Etat militaire, le général Huerta prend le pouvoir.
A la tête des révolutionnaires, deux illustres figures héroïques, Emiliano Zapata et Pancho Villa.
Pancho Villa, «l’aigle aztèque qui a planté son bec d’acier dans la tête de vipère de Huerta». Pancho Villa, le «Napoléon mexicain.»
Pour la petite histoire. Celle d’en bas. Celle racontée par Azuela.
Ceux d’en bas.
Demetrio Macia et sa bande de «pieds nickelés». Des bandits révolutionnaires. Des illustres inconnus au bataillon.
Des pilleurs, des tueurs.
Aux doux noms de La Fardée, Le Blondin, La Caille, Le Négro, La Grosse, La Poudrée. Ils n’ont rien à perdre, ils n’ont rien.
Ici bas, dans la poussière, affamés, assoiffés de mezcal, les grades
s’échangent comme de la monnaie de singe : paysan un jour, général le lendemain !
«Quel grade vous avez ?
Captitaine, mon général.
Venez donc...Je vous fais major."
Ici bas, chacun s’invente de glorieux combats, chacun s’accorde sur un même idéal : à boire, à manger, une femme.
C’est tout cela que nous raconte Azuela. Loin, bien loin des scènes de «galas révolutionnaires».
Dans un style sobre, économe, détaché et parfois ironique.
Un peu comme Istrati, le Gorki des Balkans, qui peignait la Russie paysanne des «petites gens» avec de simples couleurs.
Un livre qui sait décrire la réalité d’une révolution (de toutes les révolutions ?) comme dans ce passage.
«Le versant de six cent mètres, est jonché de morts, cheveux emmêlés, vêtements souillés de terre et de sang, et dans cet entassement de cadavres encore chauds, des femmes déguenillées vont et viennent comme des coyotes faméliques, fouillant et dépouillant.»
L’auteur, Azuela, était médecin major dans l’armée révolutionnaire de Médina. Et pourtant, ce livre, trop loin des icônes de la révolution ? pas assez idéaliste ? fut taxé de contre-révolutionnaire !
A noter la préface très instructive de Valérie Larbaud et la très belle édition de L’Herne avec ses gravures signées Diego Rivera.
A lire, donc, pour se faire une idée...vue d’en bas !
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« Quand s'allument les brasiers, ils n'entrevoient que la lumière ». L'incendie embrase les pentes abruptes de la sierra ; erratique, il fond sur les vallées les plus tranquilles ; imprévisible, il encercle, consume villes et villages ; aveugle, il dévore impitoyablement sur son passage choses et gens. La révolte paysanne mexicaine de 1915, puissante, spontanée et fondamentalement inorganisée, haineuse, irréfléchie et cependant intrinsèquement généreuse, durant trois ans, brûle de tous ses feux. Mariano Azuela, tout comme ses compañeros de la troupe de Julian Medina, ébloui par les gigantesques, libres et splendides flammes de l'incontrôlable incendie, célèbre dans ces magnifiques pages Sa baroque Révolution.
« Anastasio » tête brûlée, « Pancracio » brute épaisse, « El Meco » éternel allumé, « le Saindoux » assassin retord, « Venancio » empoisonneur et bouffeur de curé, « La Fardée » prostituée hystérique, « le Blondin» bourreau cruel, « Margarito » éphèbe sanguinaire, « Valderrama » poète un peu fou, et bien d'autre encore : « La Caille », « La Grosse » « le Négro » » … toute la troupe du futur et ombrageux général « Démétrios » errante, dépenaillée, instinctive, impulsive, sensuelle, suicidaire, animée d'une grandiose et intarissable colère, tue, pille, boit de la Tequila, fornique et se déchire. Un jeune médecin, qui les a rejoints et a bien failli le payer de sa vie, comprend la nécessité de leur combat et la cruelle beauté du hasard de ce moment unique. « La Révolution profite au pauvre, à l'ignorant, à celui qui toute sa vie a été esclave, aux malheureux qui ne savent même pas que, s'ils le sont, c'est parce que le riche fait de l'or sur les larmes, la sueur et le sang des pauvres... ». Pas de saint machin révolutionnaire dans ce récit. S'ils ont rejoint la lutte ceux d'en bas, c'est qu'ils ont tué un Fédéral aviné, empoisonné leur fiancée ou bien déserté l'armée régulière. Cette insurrection ne s'intellectualise pas, elle se vit dans l'instant avec le coeur, les tripes des paysans analphabètes sans droit, le dos au mur. « Pourquoi donc qu'on se bat à présent, Démétrio ? » « Démétrio, les sourcils froncés, prit distraitement une petite pierre, la jeta au fond du cañon. Il resta pensif en la regardant rouler et dit : « Tu vois, cette pierre, elle ne peut plus s'arrêter. »
Cette épopée, pas plus que l'insurrection, n'est faite pour les pisse-froid, les éternels spectateurs qui comptent les points et qui toujours attendent. Il faut risquer, « au milieu de la fumée blanche de la fusillade et des noirs tourbillons qui s'élèvent des édifices incendiés », l'aventure aux cotés des redoutables guérilleros. La prose de Mariano Azuela, simple décrit à la perfection l'âpre réalité de ce monde en ébullition. Simplement sont esquissés quelques traits de caractère, seulement mentionnés un surnom, une particularité physique et, avec une économie de moyens remarquable, se dessine sous nos yeux un portrait parlant des acteurs de la Révolution mexicaine. L'écriture forte, éclatante de l'auteur fait corps avec la beauté aride de la sierra mexicaine.
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Cette histoire de la révolution zapatiste vue de l’intérieur, rédigée par un médecin devenu guérillero montre la vie des sans-grades, et l’horreur des guerres civiles.
La lecture dans la langue est rendue difficile par le vocabulaire utilisé, celui populaire des guerilleros eux même
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Ses phrases courtes, ses dialogues réduits à l’essentiel, ses descriptions violentes et judicieuses en font un Hemingway avant la lettre.
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