Jacqueline Duhême Une vie (extraits) conversation avec Jacqueline Duhême à la Maison des artistes de Nogent-sur-Marne le 8 février 2020 et où il est notamment question d'une mère libraire à Neuilly, de Jacques Prévert et de Henri Matisse, de Paul Eluard et de Grain d'aile, de Maurice Girodias et d'Henri Miller, de Maurice Druon et de Miguel-Angel Asturias, de dessins, de reportages dessinés et de crobards, d'Hélène Lazareff et du journal Elle, de Jacqueline Laurent et de Jacqueline Kennedy, de Marie Cardinale et de Lucien Bodard, de Charles de Gaulle et du voyage du pape en Terre Sainte, de "Tistou les pouces verts" et de "Ma vie en crobards", de Pierre Marchand et des éditions Gallimard, d'amour et de rencontres -
"Ce que j'avais à faire, je l'ai fait de mon mieux. le reste est peu de chose." (Henri Matisse ).
"Je ne sais en quel temps c'était, je confonds toujours l'enfance et l'Eden comme je mêle la mort à la vie un pont de douceur les relie." (Miguel Angel Asturias)
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La terre se nourrit d'empreintes, le ciel se nourrit d'ailes.
[...] l'argent ne respecte pas le sang!

Marimba jouée par les Indiens
Extrait 5
Les jupes tombent. Les femmes fuient.
Pieds, mamelles, marmaille. Balles et chevaux.
Assemblée de couteaux éclaboussés de sang.
Terre entre les deux camps éclaboussés de sang.
Gammes de claviers – pont éclaboussé de sang.
Tes touches, qui les fit avec ces bras en croix éclaboussés de sang ?
Tour au front du mecapal **
Charabia de perruches !
Vertes pépinières de perroquets qui volent !
Cris de bois que l’on bat en tasses comme le chocolat !
Toit de bois d’ocoté *** couvrant les maisons de la lune !
Pic-charpentier dans l’atelier de la forêt !
Trilles, trilles sans fin du guardabarranca **** !
Oiseau-moqueur ivre d’eau-de-vie blanche !
Marimba joué par les Indiens !
(1933 -1939)
** Mecapal : lanière de cuir que les porteurs ajustent autour de leur front
*** Ocoté : bois de pin très résineux qui sert à allumer le feu où à préparer
des torches.
**** Guardabarranca : oiseau aux plumes foncées, au chant mélancolique,
qui vit généralement dans les précipices, où il chante au moment du
crépuscule.
Mère-Elvire de Saint-François, abbesse du monastère de Sainte-Catherine, allait devenir la novice qui coupait les hosties au couvant de la Conception, une jeune fille d'une beauté célèbre et d'un parler si candide que sur ses lèvres les mots semblaient de fleurs de douceur et de tendresse.
Ils n'avaient plus la force de donner de violents signes de joie. Toute la multitude tenue éveillée était inerte, abandonnée, éparpillée, après avoir passé des jours et des nuits au travail. Cette terre sur laquelle les uns étaient assis, les autres couchés, semblait tout entière dominée par eux. Tout était dominé, sauf l'humide, immobile, aveuglante chaleur de la côte. La volonté de l'homme s'était imposée. Bras et machines avaient modifié le terrain.
À cette heure de la nuit, les quartiers pauvres donnaient une impression de solitude infinie, de misère crasseuse avec un reste de laisser-aller oriental, de fatalisme religieux qui en faisaient une émanation de la volonté divine. Les caniveaux emportaient la lune è fleur de terre, et l'eau potable, dans les tuyaux, comptaient les heures sans fin d'un peuple qui se croyait condamné à l'esclavage et au vice.
La famille de mulâtres s’est accrochée avec tous ses enfants au petit lopin planté de guineyo (bananes). Mais ce fut en vain,. On les en a arrachés, on les a foulés aux pieds, on les a mis en pièces. Ils se sont accrochés au ranche. Mais ce fut en vain. Le ranch a brûlé avec leurs hardes, leurs images pieuses, et leurs outils. Ils se sont accrochés aux cendres. Mais ce fut en vain. Une vingtaine d’énergumènes, sous les ordres d’un contremaître rouquin, les expulsa à coup de fouet. (p.105-106)
L'haleine des arbres éloigne les montagnes, où le chemin ondule comme un filet de fumée, la nuit tombe, les oranges surnagent, on perçoit le moindre écho, si profonde est la répercussion, dans le paysage somnolent, d'une feuille qui tombe ou d'un oiseau qui chante, et le Coucou des Rêves s'éveille dans l'âme.
Si les Chasseurs Célestes descendaient
transcrire en mes miroirs leur langue empourprée,
fumer avec moi le blond tabac haché
qui tombe du titillement des étoiles,
nous parlerions une langue des miroirs...

LITANIES DE L'EXILÉ
Et toi, l’exilé :
Être de passage, toujours de passage,
avoir la terre pour auberge
et contempler des cieux qui ne sont pas les
nôtres,
vivre parmi des gens qui ne sont pas les nôtres,
fredonner des chansons qui ne sont pas les
nôtres,
rire mais d’un rire qui n’est pas le nôtre,
serrer des mains qui ne sont pas les nôtres,
pleurer avec des larmes qui ne sont pas les nôtres,
céder à des amours qui ne sont pas les nôtres,
goûter à des plats qui ne sont pas les nôtres,
prier des dieux, des dieux qui ne sont pas les
nôtres,
entendre notre nom sans que ce soit le nôtre,
penser à ceci, à cela, à ce qui n’est pas nôtre,
tendre une monnaie qui n’est pas la nôtre,
et suivre des chemins qui ne sont pas les nôtres.
Et toi, l’exilé :
Être de passage, toujours de passage,
avoir pour tout bien des choses d'emprunt,
embrasser des enfants qui ne sont pas les nôtres,
s'approcher d'un feu qui n'est pas le nôtre,
entendre des clochers qui ne sont pas les nôtres,
prendre un petit air qui n'est pas le nôtre,
pleurer des morts qui ne sont pas les nôtres,
vivre cette vie qui n'est pas la nôtre,
se distraire à des jeux qui ne sont pas les nôtres,
dormir dans un lit qui n'est pas le nôtre,
grimper mais à des tours qui ne sont pas les
nôtres,
lire des nouvelles, excepté les nôtres,
souffrir pour tout le monde et pour ce qui est
nôtre,
écouter la pluie quand la pluie est autre
et boire d'une eau qui n'est pas la nôtre…
…
p.89-90