Marie-Pierre Bardou

Comme si j'étais né le jour où je suis mort

C'est bon, ça va, je gère. J'inspire profondément par le nez et j'expire doucement par la bouche. Je suis calme... Tout ça ne me fait rien, ça ne me touche pas. Je vais bien, tout va bien...
MIKE ! SI JE T'ATTRAPE, JE TE BROIE LES CÔTES AU MASSICOT! JE LES PILE MENU! JE TE PÈTE LES GENOUX CONTRE LE TROTTOIR ET JE TE COUPE LES CHEVEUX EN TE LAISSANT DES ÉCHELLES!

Mais il fallait rester caché, pourtant. Si Chimère se rendait compte qu’il était une fois de plus suivi, il allait perdre à nouveau sa trace et devoir tout recommencer. Encore, et encore…
Arnaud vit sa proie s’engouffrer dans une petite boulangerie de quartier, la seule boutique de la rue déjà ouverte à cette heure matinale. Il leva le nez, essayant comme un imbécile d’évaluer l’heure qu’il était grâce à la position du soleil dans le ciel. Non, mais tu te prends pour qui ? MacGyver ? Même en pleine nature et avec un ciel dégagé, il n’aurait jamais su lire l’heure dans l’horizon ni se repérer. Comme pour le narguer, les cloches d’une église se mirent à sonner, les tonalités claires faisant vibrer l’air autour de lui. Arnaud compta : un, deux, trois… cinq, six… 6 heures. OK, merci.

T'es vraiment dans la mouise, la panade, la purée. Et je te signale d'emblée que "mouise" n'est pas celui qu'on voit écarter les eaux de la mer Rouge dans certains péplums. Ma chère PK, tu vas te prendre une sacrée tôle dans la tronche avant de finir en taule.

- Comment ça ? Tu crois que je pourrais inventer un truc pareil ?
Elle se tortille sur sa chaise, touille dans son immonde breuvage.
- On ne l'a jamais vu, nous, ton Sloan.
Ah, non, elle ne va pas recommencer ! Depuis le début, elle insinue plus ou moins ouvertement que ma liaison n'est qu'une création de ma part, destinée à rendre David jaloux. Depuis notre séparation, je n'ai eu que des aventures d'un soir, et Sloan est le premier avec qui ça a duré un peu plus. Mais ça me court sur le haricot, quand même ! Je sors mon portable de ma poche et le lui brandis sous le nez :
- Et ça ? Ces photos ? On est bien dessus tous les deux, non ? Et là ? Regarde ces textos, il y en a des centaines, depuis les six derniers mois !
Elle saisit le téléphone, fait défiler images et messages, avant de secouer la tête d'un ait faussement navré :
- Hé bien ! Je sais qu'il existe des logiciels super performants, de nos jours... Ça ne prouve rien... D'autant plus que, ce numéro, il n'est pas à ton fameux Sloan, hein ? C'est toi-même qui viens de me l'annoncer !
J'essaie de rester calme en rétorquant :
- Si tu penses vraiment que j'invente cette histoire de toutes pièces, alors c'est que tu me prends vraiment pour une tarée.
Ce à quoi ma charmante, bienveillante et chaleureuse belle-sœur me répond en haussant les épaules :
- Désolée, mais je crois plus en ta... créativité, dirons-nous, plutôt qu'en ce conte à dormir debout. Un mystérieux amant, que personne de ton entourage n'a jamais rencontré, et qui disparaît d'un seul coup sur une aire d'autoroute ? Et tu découvres ensuite que tu échanges des textos enflammés depuis des mois avec un sexagénaire bedonnant ? Que sa boîte n'a jamais entendu parler de lui, qu'il t'a donné une fausse adresse ? Franchement, Nina...

Quand tout part en couille, quelle est l'attitude à avoir ? Une femme forte et fière aurait sans doute pleuré un bon coup ; puis serait montée à l'assaut de ses ennemis afin de laver son honneur. Moi, je ne suis ni forte ni fière. D'une main tremblante, je saisis la bouteille d'aguardiente et je porte un toast à ma télé, où les autres continuent de se bidonner : Salud !

Beurk, a été son premier mot de la journée. Mon haleine au goût de nicotine n'est pas son parfum préféré, mais je ne renonce pas au secret espoir qu'il se remette un jour à fumer et que nous voguions ensemble, sur les mers océanes des pestilences de boucaniers... Non, non, il faut vraiment que j'arrête la cigarette, c'est mal.

À chaque coup de pelle, la terre résistait, inflexible. Ses épaules et ses bras douloureux encaissaient l'onde de choc qui se répercutait ensuite dans chaque fibre de son corps, comme autant de secousses telluriques.
Camille se redressa, hors d'haleine. La nuit allait bientôt tomber, et le ciel brumeux s'assombrissait de minute en minute. Elle observa le coton épais des nuages gris, lourds et opaques, qui se teintaient peu à peu de bleu marine. Il allait neiger cette nuit. Elle comptait là-dessus.
Le froid commençait à s'infiltrer sous son anorak, sous ses gants, son écharpe, son bonnet de laine et ses bottes fourrées ; ce froid mortel qu'elle ne ressentait plus depuis presque trois heures qu'elle creusait, gardé à distance par l'activité physique.
Elle transpirait ; si elle laissait le froid l'envahir maintenant, elle allait mourir.

- Qui est là ? Qu'est-ce que vous voulez ?
Je croasse, l'oreille collée à ma porte, au cas où quelqu'un serait encore derrière. C'est sûr, je vais recevoir une réponse très détaillée, genre bonsoir je suis monsieur X et je sollicite l'accès à votre logis afin d'y prélever ce qui peut se revendre.

Émilie aurait bien aimé avoir un chat comme celui des Raynes. Peut-être pas noir, parce qu’elle avait entendu les adultes dire qu’ils portaient malheur, mais Émilie ne comprenait pas bien comment un animal pouvait provoquer des drames, quelle que soit la couleur de ses poils.