Marina de van - Rose minuit .
Marina de van vous présente son ouvrage "Rose minuit" aux éditions Allia. Retrouvez le livre : http://www.mollat.com/livres/van-marina-rose-minuit-9791030401172.html Visitez le site : http://www.mollat.com/ Suivez la librairie mollat sur les réseaux sociaux : Facebook : https://www.facebook.com/Librairie.mollat?ref=ts Twitter : https://twitter.com/LibrairieMollat Instagram : https://instagram.com/librairie_mollat/ Dailymotion : http://www.dailymotion.com/user/Librairie_Mollat/1 Vimeo : https://vimeo.com/mollat Pinterest : https://www.pinterest.com/librairiemollat/ Tumblr : http://mollat-bordeaux.tumblr.com/ Soundcloud: https://soundcloud.com/librairie-mollat Blogs : http://blogs.mollat.com/
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J'aimerais être assise à une grande tablée de gens rieurs, bruyants, et qu'on nous ait servi un repas. Pourtant, quand je pense à ces images de convivialité bruyante, c'est la solitude de mon appartement qui m'attire.
Mais que pourrait-on me dire, sinon de me lever pour secouer cette indolence et sortir en ayant pour but les mille petites choses que chacun sait trouver à faire, dehors ? Je ne sais pas ce qui m'en empêche. Mais je reste impuissante. Je ne peux pas. Je ne veux pas. Tout désir m'a quittée et chaque action ne se présente plus que comme une tâche, une corvée, en même temps que l'inactivité me rend folle. Je me sens comme un cadavre, épuisé, furieux d'être couché - prisonnier.
J’aime vivre en anglais, malgré le programme lancinant de cette chaîne, qui finit par user les nerfs. Si je reste accro à la présentation sensationnaliste des speakers, je supporte de moins en moins les spots à la gloire de leurs reporters. Mais ce soir, comme chaque fois que le chagrin m’afflige, j’attends de ce bain putassier le renouvellement de mon atmosphère mentale. Couchée sur le lit, buvant une petite bouteille d’eau et cernée par les emballages vides des produits alimentaires du minibar, je fixe l’écran, le visage toujours inondé de larmes. En dépit de CNN, des images intérieures m’assaillent et me ramènent au bonheur conjugal. Je me souviens des tout débuts de notre histoire, quand Vincent démarrait en politique et cherchait à se montrer, à faire parler de lui, à s’impliquer auprès de toutes sortes de gens et sur toutes sortes de projets.
J’aime être au sein de la ruche, et il m’est indifférent d’y être reine. J’apprécie le contact, la chaleur, le frôlement des corps, les regards, les sourires. Les paroles échangées comptent peu. Pour moi, tout signifie « Je suis là, je suis près de vous ». Un psy en ferait peut-être ses choux gras, évoquerait le vide intérieur que je cherche à combler. Je ne le vois pas comme ça. Nous ne sommes pas des animaux solitaires. Agglomérés en villes et en nations, organisés en familles ou en communautés, nous manifestons tous le même instinct grégaire. Et je me suis vite rendu compte, après mon mariage, que le couple était une cellule un peu étroite pour combler mon besoin de présences. Il ne m’a pas échappé non plus que le pouvoir, qui attire et fidélise les autres, permet parfois d’être vraiment soi-même – une licence épisodique, mais enivrante…
- Eh bien monsieur, vous ne reconnaissez pas votre fille ? Vous n'aviez pas de séquelles hier !
- Je n'ai pas d'enfant...
Je répète cette phrase obstinément, malgré la peine causée à ma fille, Florence. De fait, je la reconnais bien, mais je ne peux pas la sentir.
À l’école comme au lycée, on répugnait à me fréquenter et on me fuyait, malgré mon attrayante richesse et le chauffeur qui venait me récupérer. Le samedi après-midi, je passais des appels à des camarades de classe, qui se prétendaient bloqués chez eux, alors que j’apprenais ensuite qu’ils s’étaient retrouvés à la piscine ou à une fête d’anniversaire. Quand je cherchais à sonder les causes de mon impopularité, on daignait simplement me répondre que j’étais différente… Questionnés sur cette différence, mes parents désignaient mon intelligence : « C’est parce que tu es intelligente que tu intimides, que tu mets mal à l’aise, que tu renvoies les autres enfants à une forme d’impuissance et de médiocrité.
Je ne redoutais rien tant que de lui déplaire, je cherchais inlassablement à épouser au plus près sa conception de la féminité, pour ne pas le voir s’amouracher d’une autre, plus belle, plus chic, plus convoitée. J’observais ses goûts en matière de vêtements, je ne lâchais plus jamais ma chevelure car il aimait la voir tirée en chignon, je surveillais mes gestes et mes attitudes, copiant le modèle d’une grâce féminine un peu conventionnelle, un peu datée, avec la peur au ventre chaque fois qu’il posait les yeux sur moi ou que je sortais à son bras. Allait-il voir en moi la femme idéale, celle dont sa libido et sa carrière requéraient la présence ?
Certes, j’ai perdu le contrôle de mes émotions en une transe hallucinatoire dont le souvenir m’épouvante, mais la plupart de ces gens étaient inamicaux et n’ont pas volé le déplaisir de côtoyer une inconnue égarée par l’angoisse.
Je regarde le ciel noir, brumeux. Je songe aux choses que je pourrais faire, et je n'en trouve aucune. Il est 21h45. Je pourrais lire, ou écrire. Mais je reste empêchée, paralysée, pour une raison obscure.
La popularité était pour moi un critère important, sinon prioritaire. À quoi sert d’épouser une personne avec laquelle on s’emmure dans une vie contrainte et isolée ? Je voulais du mouvement, des fêtes, du monde. Formée à un travail solitaire, que je poursuis aujourd’hui même sans nécessité, mon mariage a été le contrepoint nécessaire à cette profession d’ermite. Le plus souvent penchée sur mes livres et mon ordinateur pour exercer mon métier de traductrice, je n’apprécie rien tant que les obligations de la vie de Vincent.