Ce qui m’interloqua fut de voir le marin, sous mon regard, glisser la main dans l’une des fentes de la robe et pincer les fesses de la jeune femme. Elle ne manifesta aucun signe de réprobation et je me demandai si c’était la façon dont on saluait toutes les Chinoises
Lorsqu’il atteignit les rues, elles n’étaient pas animées. Quelques personnes marchaient sur les trottoirs à l’abri des arcades, mais aucun magasin n’était ouvert. Et pas un seul colporteur ne proposait la moindre marchandise. Par comparaison avec les années d’avant-guerre, Nicholas se crut dans une ville fantôme.
D’ailleurs, songeait-il, en marchant, les gens s’apparentaient bien à des fantômes. Ils étaient maigres, décharnés, marchaient de façon indolente sans aucun dynamisme ni réel objectif. Il remarqua que presque tous avaient des poignets et des chevilles très maigres. La peau de leur cou était tirée et leurs pommettes saillantes. Nombre d’entre eux avaient les yeux creux et cernés d’une teinte grise.
Nicholas se dit que tous ces signes révélaient une sous-alimentation avancée.
-Et à quoi sert cette dame nue ? demanda -t-il, montrant du doigt une sculpture en ivoire d’une femme nue allongée.
Elle mesurait au moins quarante centimètres de long.
Pour la première fois de la journée, Ah mee sourit.
-Avant, quand Chinoise aller voir docteur, elle pas vouloir docteur toucher. Pas vouloir enlever vêtements. Même maintenant, des dames pas aimer enlever habits. Mais si garder vêtements, comme dire au docteur où mal ? Alors, dame montrer ça avec doigt pour dire où mal. Docteur comprendre et pouvoir soigner.
Il portait deux branches de saule blanc. Il atteignit la terrasse et détacha deux brindilles, le pollen sur les chatons voletant telle de la poussière d’or à la chaude lumière du soleil.
-Demain, c’est la fête de Qing Ming, dit-il à Nicholas. Maintenant tu es notre fils, tu dois venir avec nous.
-Où allons-nous ?
-Visiter les pagodes dorées, répondit Qing-mei, sur un ton énigmatique. Et tu dois porter cette fleur sinon, à ta mort, tu pourrais renaître sous forme de chien.
Nicholas pensa que tout ceci était une accumulation de bêtises, mais il garda son opinion pour lui.
Parfois, les nouvelles peuvent avoir un effet plus tonifiant que les médicaments. Les remèdes guérissent les maux, mais les nouvelles peuvent te redonner de l’espoir.
-Comment un serpent peut-il vous payer ? s’exclama Nicholas.
Tang rit et dit :
-Wing-ming, toi pas comprendre. Toi avoir nom chinois, vivre avec Chinois, parler cantonais, mais toi toujours Anglais dans ton cœur. C’est bien. Devoir rester Anglais pour quand guerre finir, donc moi parler anglais tout le temps avec toi. Maintenant, poursuivit-il, moi expliquer encore : idées chinoise quelques fois idiotes pour Anglais. Nous dire serpent porter bonheur, et vous dire : paroles chinoises idiotes. Mais Chinois pas parler idiot. Vous penser ce serpent habiter ici. Lui payer loyer. Comment ? Nous pas le toucher, lui manger rat et souris pas manger riz, pas manger farine, pas mordre nous, pas nous rendre malades. Donc…
Tang s’éclaircit la voix et dit :
-Oui, guerre pas un jeu. Mais,- il regarda Ah Mee- si Taï Lo Fu vouloir Wing-ming combattre, aller. Cette guerre pas seulement Anglais et Chinois contre Japonais. C’est gens bien contre gens mauvais. Nous être gens bien. C’est notre travail lutter contre mal. (………)
-Pas tous les Japonais être mauvais, continua Tang. Certains gens bien. A Sai Kung, il y a un très bon soldat japonais. Pas frapper les gens, pas prendre poissons sans payer. Mais d’autres êtres mauvais. Et notre devoir, les combattre.
La brise marine était devenue plus vive et Nicholas fut transi. Seule la lumière d’une mince nouvelle lune, telle une faucille étroite, leur éclairait le chemin.
À dire vrai, je n’ai jamais complètement quitté Hong Kong, ses rues et ses collines, ses vallées boisées, ses myriades d’îles et ses rivages déserts si familiers au garçonnet de 7 ans que j’étais, curieux, parfois retors, audacieux et inconscient des dangers de la rue. Ce fut mon chez-moi ; c’est là que j’ai passé mon enfance, c’est là que sont mes racines et c’est là que je suis devenu un homme.