Martine Gross

Martine Gross, sociologue au CNRS et auteure de référence sur la question de l'homoparentalité, livre ici une sorte de rapport très documenté et extrêmement à jour (octobre 2013, c.à.d. successif à l'approbation de la loi sur le "mariage pour tous" - qui vient donc rectifier certaines de mes connaissances périmées) sous forme d'un argumentaire concis et simple contre les idées reçues sur ce sujet d'âpres débats.

Un militantisme évident - dû sans doute aussi à la biographie de l'auteure - résulte forcément de ce genre de démarche, de même que certaines redites ; l'abondance des références bibliographiques et, par moments, celle des données chiffrées constitue un moyen de démonstration à double tranchant : efficace pour sa brièveté mais parfois un peu aride.



La thèse fondamentale est la suivante : la mentalité qui se reflète dans le droit français et occidental en général, ayant hérité les principes du droit canonique, fait coïncider la parentalité avec la procréation, et même l'adoption - institut juridique qui pourtant dans le droit romain était assez éloigné de la filiation - a tendance à être pris pour un calque ou une fiction de procréation [Cf. PMA pour couples hétérosexuels stériles, la seule actuellement autorisée en France]. Le secret de famille [donneur anonyme] et une certaine hypocrisie [adoption post-PMA et GPA... opérées à l'étranger !] en sont la conséquence... Une fragilité juridique pour les enfants demeure.

De la difficulté à séparer le concept de "géniteur" de celui de "parent" découle une série de malentendus, de blocages, d'impensables auxquels se greffe naturellement tout un substrat d'homophobie et de sexisme qui a été bien revivifié par l'actualité des débats (qui ont donc fait reculer l'acceptation sociale de l'homosexualité dans son ensemble depuis l'année dernière). Mais l'argumentaire n'est pas prioritairement juridique : au contraire il me semble surtout fondé sur la psychologie clinique et comportementale, sans doute parce que les études les plus anciennes et nombreuses sont américaines (depuis les années 70), fondé en partie aussi sur la psychanalyse - lacanienne spécifiquement.



Voici les lieux communs réfutés :



1. "L'homoparentalité, c'est l'adoption d'enfants par les homosexuels"

2. "Être homosexuel ou être parent, il faut choisir"

3. "Mère lesbienne passe encore, père gay ça craint !"

4. "Les homosexuels ont une vie sexuelle débridée incompatible avec les responsabilités familiales"

5. "Il n'y a pas de droit à l'enfant"

6. "Parler de deux parents du même sexe modifie profondément la signification des mots parents, père et mère"

7. "Il y en a un qui fait le père et l'autre la mère. Les pères homosexuels sont des mères bis"

8. "Les lesbiennes détestent les hommes. Elles ne peuvent pas élever un garçon"

9. "Un couple d'hommes ne saura pas s'y prendre pour élever un enfant"

10. "Les homosexuels sont des pédophiles. Il ne faut pas leurs confier des enfants"

11. "Les enfants élevés par des parents homos vivent dans un ghetto"

12. "Les parents homos ne transmettent pas les mêmes valeurs à leurs enfants"

13. "Il existe déjà des dispositions juridiques pour les enfants élevés par des couples du même sexe"

14. "On n'a pas assez de recul"

15. "Les enfants ne feront pas leur Œdipe"

16. "Un enfant a absolument besoin d'un papa et d'une maman"

17. "Les enfants risquent de souffrir du regard porté sur l'homosexualité de leurs parents".



Annexes : un glossaire bien utile et une bibliographie raisonnée ("pour aller plus loin...").

Deux auteurs, tous les deux sur le terrain, en contact avec la réalité nous offrent ce livre fruit de nombreuses rencontres et années d'expériences. Le titre dit "qu'en penser?" et c'est à chacun de se forger son opinion, mais si possible en s'appuyant sur la réalité, sur les faits, sur ce qui se passe et non des théories, des croyances qui ne reposent sur rien, quand des enfants sont en jeu.

Découpés en autant de chapitres que de débats, Idées reçues sur l’homoparentalité aborde l’ensemble des sujets sur lesquels on se pose des questions, de manière fondée ou pas, sur ce domaine. Prenant pour titre une idée préconçue mais que l’on entend pourtant systématiquement dans les médias, chacune des parties de l’ouvrage s’applique à déconstruire chacune de ces idées reçues de façon scientifique. Ainsi l’on pourra lire que l’homoparentalité ne concerne pas que l’adoption d’enfant par des homosexuel-le-s, que dans un couple gay il n’y a généralement pas « un homme qui fait la mère et un autre le père » ou que la loi ouvrant le mariage aux couples de même sexe n’a pas supprimé les difficultés rencontrées par des couples homosexuels pour être parents. Tout ceci assorti d’une petite phrase préliminaire savoureuse qui rappelle le genre de poncifs ridicules que l’on a pu entendre ces dernières années.



La rigueur scientifique d’Idées reçues sur l’homoparentalité est assez remarquable. Martine Gross use de l’ensemble des méthodes scientifiques pour éviter de rentrer dans des querelles stériles. Ainsi les statistiques sont usées à bon escient afin de légitimer un discours, tout en prenant soin de préciser systématiquement les populations concernées et les éventuelles limites que l’on peut fonder sur une absence de recul, en soi naturelle puisque l’on dispose de relativement peu de données et de séries longues. Des études qualitatives complètent ces premières données, et l’ensemble des champs des sciences humaines sont convoquées : sociologie, psychologie (souvent comportementale), psychanalyse, anthropologie, etc. Et une fois de plus, l’auteure prend soin de citer ses sources, et, bien que partisane, et militante, de donner une place aux arguments opposés.



Dans le fond, Idées reçues sur l’homoparentalité n’a rien de choquant : l’ouvrage ne fait qu’objectiver des principes de base que l’on devrait tous intégrer. Ainsi l’ensemble des chercheurs qui travaillent dans le domaine du développement de l’enfant n’ont de cesse de répéter que les enfants qui grandissent au sein de couples homoparentaux ne développent pas plus de traumas que ceux qui sont élevés par « un papa, une maman ». L’argument phare développé par Martine Gross est en particulier qu’aujourd’hui la plupart des situations familiales sont « atypiques » : monoparentalité, beaux-parents et divorces sont les lots communs de nombreuses familles contemporaines. Autoriser la PMA et la Gestation pour autrui (GPA) ne ferait que réglementer des pratiques qui se font actuellement de façon illégale, donc n’assurant pas de protection juridique. Soyons donc pédagogues et déconstruisons ensemble ces idées reçues.
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C'est un livre indispensable pour les gays qui envisagent de faire famille et les futurs parents ; autant qu'un travail de sciences sociales intéressant sur la paternité sans mère.Il est surprenant de découvrir la pérennité de questions posées à des jeunes pères et pères en devenir en 2012. On s'attendrait à ce que la mariage pour tous et l'ouverture de l'adoption ait pu opérer une révolution sociétale.Il n'en est rien.Les questionnements de ces hommes résonnent dans chacun des parcours des hommes qui souhaitent devenir père aujourd'hui. Et le choix de Martine Gross de privilégier une multiplicité des parcours et des opinions en dépit d'une quelconque réalité statistique permet de voir des contrepoints d'opinion, utiles, à chaque étape.

Un compte rendu détaillé est disponible sur le site de la Revue internationale Enfances Familles Générations : https://journals.openedition.org/efg/1222
Lien : https://journals.openedition..