"Complainte de la Seine" chantée par Lys Gauty. Musique: Kurt Weill. Paroles: Maurice Magre
Quand on porte un chagrin, il faut le porter loin pour le laisser un peu s'égrener sur la route.
-La Voie secrète-
Au-dessus du chemin que chacun suit dans sa vie, il y a un chemin invisible que nous parcourons sans le savoir. (...)
Beaucoup d'hommes ne sont pas conscients de cette voie secrète. Ils accomplissent des actions, épousent des femmes, occupent des postes administratifs sans savoir que ce qu'il y a de meilleur en eux chemine dans une direction qui est parfois tout à fait différente de celle qu'ils croient suivre. (p.9)
Heureux celui qui aura pris au sérieux le rêve de sa vingtième année.
Va mon enfant, dans la forêt où tu n’entendras plus vibrer la parole humaine. Instruits toi avec le hurlement des loups, le craquement des branches, le bruit des eaux sur les galets. Car la parole vivante naît du silence de l’homme. Ceux qui comme toi sont marqués pour perpétuer la vérité à l’aide des mots qui s’envolent, doivent préparer dans la solitude la naissance du verbe
Je supposais naîvement à cette époque que les écrivains étaient les plus intelligents des hommes. C'est d'eux, pensai-je, que j'obtiendrai la précieuse révélation.
J'en connus un grand nombre et je fus frappé par l'extraordinaire médiocrité de leurs propos, leur obéissance aveugle aux préjugés, leur étroite subordination à l'intérêt personnel. Ceux dont j'aimais le plus les oeuvres me déçurent par une absence totale de ce je ne sais quoi d'ailé et d'insaisissable, que j'avais espéré trouver en eux. (p. 30)
Je me suis aperçu que les évènements les plus importants de la vie n'étaient pas ceux que nous croyions. Souvent, une parole insignifiante, la rencontre de quelqu'un qu'on ne doit plus revoir, un regret ou un espoir qu'on a cru oublier, ont une grande répercussion sur la vie cachée de l'âme. (p;10)
L’AMITIÉ DE L’OISEAU
extrait 2
O porteur de bec,
Musicien bizarre,
Joueur de rebec,
Joueur de cythare !
Frère du jardin,
Frère du nuage,
Vole ce matin,
O mon petit page !
Pour cueillir trois brins
D’une marjolaine,
Trois feuilles de thym
Près de la fontaine !
Mets à mon chapeau
Ce bouquet d’aurore,
Pour que je sois beau,
Pour que nul n’ignore
Que j’ai pour ami
Un oiseau céleste
Qui s’en va parmi
La campagne agreste,
Un ami divin
Qui connaît les peines
Qu’éprouvent le thym
Et la marjolaine.
p.56-57
Je renonçai à fréquenter des écrivains. Le sentier que je croyais voir s'ouvrir à certains détours de leurs livre, ils en ignoraient l'origine et la fin, et, s'ils le suivaient par hasard, c'était presque à leur insu. Un double lettré écrivait à leur place, et quand ils avaient cessé d'écrire ils ne songeaient quà manger et à boire, qu'à s'enorgueillir de leur suprématie intellectuelle, qu'à jalouser les autres écrivains, à calculer des bénéfices, à escompter des honneurs, à nourrir leur égoïsme. (p.31)
"Ô médiocrité, pain sec de l’âme, aliment qui ne fait pas défaut, c’est de toi que je suis nourri. Vin sans alcool, qui ne procure pas d’ivresse mais qu’on peut boire à loisir, c’est de toi que je suis enivré. Poésie sans élan, strophe qui ne s’envole pas mais qui est familière, chant qui ne demande pas d’enthousiasme, c’est toi que je chante. Ô médiocrité, tu m’as fait aimer la ville moyenne où je suis né, ses collines sans altitude, son climat tempéré, son ciel un peu voilé. Tu m’as donné la neutralité de l’esprit qui permet de comprendre toutes les idées et cette froideur naturelle qui est la cuirasse contre les excès de l’instinct. Tu m’as appris qu’il ne faut ni approuver, ni désapprouver, ni embrasser, ni repousser et éviter la première ardeur du désir autant que le désespoir destructeur. C’est de toi que je tiens la rectitude de l’esprit, l’amour de l’ordre et de l’équilibre, le bienfait divin de la règle. Tu as écarté de mes pas l’ombre de la mort mystérieuse et tu en as supprimé le mystère en m’enseignant de n’y jamais penser. Grâce à toi j’ai négligé le ciel lointain pour la terre où je vis et j’ai savouré le bonheur qui vient de la satisfaction de soi-même quand on a respecté les règles, chéri les usages, pratiqué la vertu. Je marche sur le voie moyenne avec la pureté de celui qui ignore l’impureté. Ô médiocrité, je t’aime, comme j’aime les hommes médiocres, mes frères."
La véritable cabane nécessaire au sage est celle qu'il a bâtie lui-même pour son âme avec des planches invisibles.