Citations de Maurice Magre (36)
Quand on porte un chagrin, il faut le porter loin pour le laisser un peu s'égrener sur la route.
-La Voie secrète-
Au-dessus du chemin que chacun suit dans sa vie, il y a un chemin invisible que nous parcourons sans le savoir. (...)
Beaucoup d'hommes ne sont pas conscients de cette voie secrète. Ils accomplissent des actions, épousent des femmes, occupent des postes administratifs sans savoir que ce qu'il y a de meilleur en eux chemine dans une direction qui est parfois tout à fait différente de celle qu'ils croient suivre. (p.9)
Va mon enfant, dans la forêt où tu n’entendras plus vibrer la parole humaine. Instruits toi avec le hurlement des loups, le craquement des branches, le bruit des eaux sur les galets. Car la parole vivante naît du silence de l’homme. Ceux qui comme toi sont marqués pour perpétuer la vérité à l’aide des mots qui s’envolent, doivent préparer dans la solitude la naissance du verbe
Heureux celui qui aura pris au sérieux le rêve de sa vingtième année.
Je supposais naîvement à cette époque que les écrivains étaient les plus intelligents des hommes. C'est d'eux, pensai-je, que j'obtiendrai la précieuse révélation.
J'en connus un grand nombre et je fus frappé par l'extraordinaire médiocrité de leurs propos, leur obéissance aveugle aux préjugés, leur étroite subordination à l'intérêt personnel. Ceux dont j'aimais le plus les oeuvres me déçurent par une absence totale de ce je ne sais quoi d'ailé et d'insaisissable, que j'avais espéré trouver en eux. (p. 30)
Je me suis aperçu que les évènements les plus importants de la vie n'étaient pas ceux que nous croyions. Souvent, une parole insignifiante, la rencontre de quelqu'un qu'on ne doit plus revoir, un regret ou un espoir qu'on a cru oublier, ont une grande répercussion sur la vie cachée de l'âme. (p;10)
L’AMITIÉ DE L’OISEAU
extrait 2
O porteur de bec,
Musicien bizarre,
Joueur de rebec,
Joueur de cythare !
Frère du jardin,
Frère du nuage,
Vole ce matin,
O mon petit page !
Pour cueillir trois brins
D’une marjolaine,
Trois feuilles de thym
Près de la fontaine !
Mets à mon chapeau
Ce bouquet d’aurore,
Pour que je sois beau,
Pour que nul n’ignore
Que j’ai pour ami
Un oiseau céleste
Qui s’en va parmi
La campagne agreste,
Un ami divin
Qui connaît les peines
Qu’éprouvent le thym
Et la marjolaine.
p.56-57
Je renonçai à fréquenter des écrivains. Le sentier que je croyais voir s'ouvrir à certains détours de leurs livre, ils en ignoraient l'origine et la fin, et, s'ils le suivaient par hasard, c'était presque à leur insu. Un double lettré écrivait à leur place, et quand ils avaient cessé d'écrire ils ne songeaient quà manger et à boire, qu'à s'enorgueillir de leur suprématie intellectuelle, qu'à jalouser les autres écrivains, à calculer des bénéfices, à escompter des honneurs, à nourrir leur égoïsme. (p.31)
La véritable cabane nécessaire au sage est celle qu'il a bâtie lui-même pour son âme avec des planches invisibles.
J'ai remarqué que, lorsqu'on vient de prendre son bain et qu'on ne s'est pas encore habillé, l'âme a une tendance à paraître nue, comme le corps. Car notre âme vraie, même pour nous-même, ne se montre qu'à de rares intervalles et de préférence la matin.
Mon expérience est antisociale. Faire en toute sincérité l'aveu de son initiale médiocrité d'esprit et de coeur, considérer l'étendue de son ignorance, la puissance multiforme de la douleur sur la terre et l'absence de fraternité des hommes, voilà ce qui m'a paru d'abord essentiel. (p.11)
Les paroles d'amour sont comme des flèches lancées par un chasseur. Le cerf qui les a reçues continue à courir et l'on ne sait pas tout de suite que la blessure est mortelle.
Je ne comprends pas l'évolution de mon temps et je demeure stupéfait devant la forme de cette évolution. Pour moi, l'humanité a pris la voie de gauche, celle qui s'éloigne de l'esprit. Elle a fait de l'égoïsme son idéal et elle tend à supprimer tout ce qui est la beauté. Et la destruction de la beauté me paraît être le résultat d'une volonté consciente. S'il y a une intelligence collective des hommes qui est consciente d'elle-même, cette intelligence a décrété que la laideur couvrirait la terre et elle est en train de réaliser ce projet avec habileté et précipitation.
Si Dieu voit dans les âmes, il put se rendre compte que lorsque je me relevai, les syllabes de mon serment flottant encore sur mes lèvres, je n’avais l’intention que de crier à travers la porte des paroles pacificatrices. Je cherchais une phrase générale sur l’aveuglement dans lequel nous avait jetés la boisson, la nécessité de dormir et d’oublier.
Au jardin de ma chambre, ô mes chagrins, montez !
Ces jaunes fleurs de nuit sont pour moi les plus belles...
La jeunesse et l'amour vont bientôt me quitter,
Mais vous, belles de nuit, vous êtes éternelles.
"Ô médiocrité, pain sec de l’âme, aliment qui ne fait pas défaut, c’est de toi que je suis nourri. Vin sans alcool, qui ne procure pas d’ivresse mais qu’on peut boire à loisir, c’est de toi que je suis enivré. Poésie sans élan, strophe qui ne s’envole pas mais qui est familière, chant qui ne demande pas d’enthousiasme, c’est toi que je chante. Ô médiocrité, tu m’as fait aimer la ville moyenne où je suis né, ses collines sans altitude, son climat tempéré, son ciel un peu voilé. Tu m’as donné la neutralité de l’esprit qui permet de comprendre toutes les idées et cette froideur naturelle qui est la cuirasse contre les excès de l’instinct. Tu m’as appris qu’il ne faut ni approuver, ni désapprouver, ni embrasser, ni repousser et éviter la première ardeur du désir autant que le désespoir destructeur. C’est de toi que je tiens la rectitude de l’esprit, l’amour de l’ordre et de l’équilibre, le bienfait divin de la règle. Tu as écarté de mes pas l’ombre de la mort mystérieuse et tu en as supprimé le mystère en m’enseignant de n’y jamais penser. Grâce à toi j’ai négligé le ciel lointain pour la terre où je vis et j’ai savouré le bonheur qui vient de la satisfaction de soi-même quand on a respecté les règles, chéri les usages, pratiqué la vertu. Je marche sur le voie moyenne avec la pureté de celui qui ignore l’impureté. Ô médiocrité, je t’aime, comme j’aime les hommes médiocres, mes frères."
Un message a de tout temps circulé de l’Orient à l’Occident, comme l’eau d’une rivière bienfaisante pour indiquer aux hommes le véritable chemin de leur perfection. Parfois, sous la sécheresse du mal, l’ardeur trop vive de l’ignorance, la rivière s’est tarie et ceux qui avaient soif n’ont pas reçu l’eau libératrice. Il y a eu des siècles où il ne leur est parvenu qu’une seule goutte, portée par un homme courageux, dans le vase de son cœur. Il est arrivé aussi que l’eau a coulé à flots et que personne n’a su voir le lit profond où elle passait.
À sept ans j’étais déjà bouddhiste, car chacun porte en lui, dès son enfance, la croyance qui l’animera plus tard.
Il y a des secrets pour faire sortir l'or du fleuve. Mais ces secrets ne se transmettent pas. Il faut les avoir en soi. Egoïsme, cupidité, absence du goût de donner, voilà les caractéristiques de celui qui sait attirer les richesses. Et il faut y ajouter le labeur acharné, la patience et cette rare vertu de ne jamais renoncer.
Le véritable but de la vie est de parvenir à y vivre.