Bien que les expériences au laboratoire sur le rouget aient été conduites depuis novembre 1881, on est loin de la mise au point du vaccin. Le chemin qui y mène est long et difficile. Pasteur confie à Marie ses espoirs alternés aux doutes, dans ses lettres quasi quotidiennes. Le 4 décembre 1882, jour de son départ de Bollène, confiant : « Nous avons, Thuillier et moi, grand espoir de n’être pas éloignés de pouvoir établir la vaccination préventive du mal d’une façon pratique. » Que de précautions dans une phrase alambiquée pour dire qu’ils touchent au but ! Le temps est exécrable, le moral est au beau. Les résultats plus que satisfaisants sont relatés dans une note pour l’Académie des sciences lue par Jean-Baptiste Dumas. Pour son grand bonheur, le nom d’Adrien y figure, en noir sur blanc : « M. A. Loir, aide-préparateur au laboratoire que je dirige, nous a assistés dans nos expériences » ! Une consécration !
Le rouget sévit aussi à quelques kilomètres d’Arbois, sur les bords de la Loue, dans les villages de Chissey et de Santans. Deux cents porcs touchés et 24 déjà morts. Adrien est expédié sur les lieux, chargé d’identifier l’épidémie. Une vraie mission. Gonflé d’importance, s’il osait, il endosserait la redingote, mais il s’agit de ne pas faire d’impair ; même éloignée, la surveillance de Pasteur est du genre ubiquitaire. Adrien répète les gestes, la méthode d’enquête qu’il a tant observés. Il interroge, il consigne. Les déplacements des animaux, la fréquence des foires, des marchés. Il dresse la chronologie. Les garçons et les filles de ferme chargés des soins ne seraient-ils pas les véhicules des germes ? Finalement, il établit le processus de l’épidémie et confirme qu’il s’agit bien du rouget du porc, renvoyant le prétendu diagnostic d’un vétérinaire local au rang d’une aimable fable. Aux yeux du maître, sa première note d’une étude épidémiologique le hausse à un degré supérieur dans la classe de jeune assistant…
La tête pleine des recommandations de tante Marie, Adrien doit veiller à la mise soignée de son oncle. À la précision de la retombée de la cravate, à mettre ou à retirer les bottines à élastiques, à tous ces détails de toilette que Pasteur ne peut plus effectuer seul. Il le fait de bonne grâce et de bon cœur, heureux d’être utile à cet homme qui jamais ne manifeste d’impatience. Le valet de chambre asservi le matin et le soir se mue dans la journée en aide-préparateur tout aussi attentif et zélé. Pour assister Pasteur et Thuillier. « On n’est jamais grand homme pour son valet de chambre », dit un proverbe. Comment Adrien parvient-il à vivre cette situation ? Pour lui, son oncle Pasteur est un héros, connu dans le monde entier, et avec qui il va avoir l’immense honneur de travailler. Tout indique qu’il fera mentir le vieil adage, et que Pasteur restera pour lui un grand homme même si, en étant aussi son valet, il connaît toutes ses manies et ses petites faiblesses.
L’être humain n’apparaît plus comme un organisme composé des seules cellules humaines, définies par leurs gènes, mais comme un organisme composite, incluant certes ses propres cellules, mais également celles des microorganismes composant les microbiotes qu’il héberge. C’est dire combien un monde multiple nous constitue ! Accessoirement, il y a donc bien, avec vous, des microbes dans votre transat…
Dans l’état de santé, notre corps oppose naturellement une résistance au développement et à la vie des infiniment petits. Louis Pasteur, 1875