Karine Henry, de la librairie Comme un roman, présente son coup de c?ur pour "Rudik, l'autre Noureev", de Philippe Grimbert.
Christelle Siméon, de la librairie Drugstore Publicis, nous présente "Rudik, l'autre Noureev", de Philippe Grimbert.
De retour de sa première visite en Russie depuis son célèbre saut vers la liberté, Noureev est extrêmement déprimé et en confie la raison à son psychanalyste, marquant le début d'une cure peu orthodoxe.
Mais qui va réellement mener la danse ?
De retour de sa première visite en Russie depuis son célèbre saut vers la liberté, le danseur étoile Rudolf Noureev, très déprimé, consulte Tristan Feller, psychanalyste du Tout-Paris.
Le thérapeute est rapidement déstabilisé par la personnalité hors du commun de « Rudik » , qui impose un cours peu orthodoxe à la cure : plongée dans l'histoire d'une légende vivante mais aussi affrontement entre les deux hommes durant lequel se déploient jeux de pouvoir et de fascination.
À travers ce roman d'une analyse exceptionnelle, c'est à un voyage au-delà des masques que nous convie Philippe Grimbert.
+ Lire la suite
Fils unique, j'ai longtemps eu un frère. Il fallait me croire sur parole quand je servais cette fable à mes relations de vacances, à mes amis de passage. J'avais un frère. Plus beau, plus fort. Un frère aîné, glorieux, invisible.
Aussi longtemps que possible, j'avais retardé le moment de savoir : je m'écorchais aux barbelés d'un enclos de silence.
Il fallait bien qu'un jour ou l'autre son fantôme apparût dans cette brêche, qu'il surgit de ces confidences. Ma découverte du petit chien de peluche l'avait arraché à sa nuit et il était venu hanter mon enfance. Sans ma vieille amie, peut-être n'aurais-je jamais su. Sans doute aurais je continué à partager mon lit avec celui qui m'imposait sa force, ignorant que c'était avec Simon que je luttais, enroulant mes jambes aux siennes, mêlant mon souffle au sien et finissant toujours vaincu. Je ne pouvais pas savoir qu'on ne gagne jamais contre un mort.
Citations (à ne pas lire si vous ne connaissez pas "le secret") :
- Tous mes proches savaient, tous avaient connu Simon, l'avaient aimé. Tous avaient en mémoire sa vigueur, son autorité. Et tous me l'avaient tu. A leur tour, sans le vouloir, ils l'avaient rayé de la liste des morts comme de celle des vivants, répétant par amour le geste de ses assassins."
- "Jusqu'à leur arrivée dans le café on n'entendra pas sa voix. Un peu plus tard elle parlera, pour la première fois depuis le départ de Paris. Alors elle prononcera une phrase, une seule, qui perdra Simon"
Ma vie d'enfant me fournissait chaque jour des tristesses et des craintes que j’entretenais dans ma solitude.
Je m'étais choisi un frère triomphant. Insurpassable, il l'emportait dans toutes les disciplines pendant que je promenais ma fragilité sous le regard de mon père, ignorant l'éclair de déception qui le traversait.
Et toujours ces questions : régulièrement on m'interrogeait sur les origines du nom Grimbert, on s'inquiétait de son orthographe exacte, exhumant le "n" qu'un "m" était venu remplacer, débusquant le "g" qu'un "t" devait faire oublier, propos que je rapportais à la maison, écartés d'un geste par mon père. [...]
Un "m" pour un "n", un "t" pour un "g", deux infimes modifications. Mais "aime" avait recouvert "haine", dépossédé du "j'ai" j'obéissais désormais à l'impératif du "tais".
Le lendemain de mes quinze ans, j'apprenais enfin ce que j'avais toujours su. J'aurais pu moi aussi coudre l'insigne à ma poitrine, comme ma vieille amie, fuir les persécutions, comme mes parents, mes chères statues. Comme tous ceux de ma famille. Comme leurs semblables, ces voisins, ces inconnus, dénoncés par la dernière syllabe de leurs noms en sky, en thal ou en stein.
Dans le lit une forme se devinait, entortillée dans les couvertures. Iannis dormait en position foetale, deux doigts enfoncés dans la bouche et je ne distinguais de lui qu'un profil délicat découpé sur l'oreiller. Une pointe du col de son pyjama masquait sa joue et seul un pli très marqué entre ses sourcils indiquait une tension que le sommeil même ne pouvait apaiser. Je fus saisi par la beauté de ce visage auréolé d'une masse de cheveux blonds, par la longueur de ses cils et la ligne de son nez, quand je m'attendais à un faciès déformé par les troubles psychiques.
Il n’ignore pas que la menace se rapproche. Elle a pris le visage de celui que l’Allemagne a hissé au pouvoir. Il ne peut se défaire de l’image du pantin sinistre dont les vociférations lui ont rendu odieuse une langue qui, jusque-là l’avait bercé de ses lieder, de ses opéras, l’avait nourri de sa littérature et de sa philosophie. P 83