Trailer Le Secret du vent Mélanie De Coster
De toute manière, maintenant qu’elle est habitée, la maison ne peut plus rien nous faire. C’est à lui qu’elle va s’attaquer. Qui qu’il soit.

Dans sa quête pour trouver les enfants perdus de Jonas, elle avait rencontré quelques sorciers hostiles. Et s’était secrètement consolée d’avoir laissé leurs ennemies les éliminer. Mais la plupart d’entre eux avaient rejoint l’île de Sein, près de Gwenaëlle. Là, ils étaient protégés, personne ne pouvait les atteindre grâce aux pouvoirs sur les éléments de la sorcière. Gwenaëlle faisait plus encore, elle les formait à mieux utiliser leurs pouvoirs, à les employer pour le bien, surtout. La mère de Cléa remplissait sa tâche à la perfection. Même si cela impliquait que Cléa ne pouvait se résoudre à la retrouver. L’eau et le vent, maîtrisés par Gwenaëlle, étouffaient le feu de Cléa. Et elle se refusait à vivre à nouveau sans cette étincelle qui vibrait en elle.
Une étincelle qui l’avertit du danger avant même que les premiers tirs de magie ne fusent contre la toile de tente. Cléa repoussa Aiken sur le côté. Le jet électrique, guidé par le son de l’harmonica, manqua sa cible. Aiken interrogea Cléa du regard. Leurs options se comptaient sur leurs deux mains : disparaître vers un autre horizon, grâce à la téléportation du jeune homme. Ou combattre. Lui choisissait toujours la première option.

La jeune fille craignait qu’une parole maladroite ne déclenche une colère contre laquelle elle serait impuissante. Les îliens accordaient tellement de pouvoir à Gwenaëlle qu’aucun d’eux ne l’aurait affrontée directement. Durant les veillées, ils débitaient leurs vilenies sur elle et répétaient les gestes de protection que leur avaient transmis leurs ancêtres. Personne n’était dupe, mais les apparences étaient préservées. Les plus jeunes, comme elle-même, se moquaient de leurs parents et préféraient les soirées devant la télévision. Lisette aurait pourtant donné beaucoup, ce jour-là, pour pouvoir rendre visite à sa grand-mère et écouter tout ce qu’elle n’avait jamais voulu entendre jusque-là : les incantations qui tenaient le mal éloigné, les plantes qui le repoussaient, les pierres qui protégeraient… Gwenaëlle n’était peut-être pas mauvaise, mais il ne faisait aucun doute qu’elle était bien une sorcière et, plus que pour toute autre femme, il était difficile de dire de quoi celles-là étaient capables.
« Il existe des gens très bien qui ne lisent pas. Enfin, il paraît. »

Un raclement de chaise derrière Gwenaëlle l’avertit qu’elle n’était plus seule dans la pièce. Cléa n’aurait pas changé d’avis aussi rapidement. L’éplucheur en main, Gwenaëlle tourna lentement. Elle n’avait pas entendu la porte s’ouvrir. Silette restait silencieuse, ce qui était plus oppressant encore.
Face à elle, assis à califourchon sur une chaise, les bras croisés sur le dossier, il y avait un homme qu’elle n’avait plus vu depuis des années. Ses cheveux étaient sombres et courts, ses yeux vairons, l’un noir, l’autre bleu. Il ne se donnait pas la peine de sourire, attendant simplement que Gwenaëlle le reconnaisse. Ce n’était pas compliqué, il n’avait pas vieilli, contrairement à elle. Sa peau était toujours aussi lisse. Il était difficile de deviner en lui un homme adulte plus qu’un jeune homme, encore moins un père de famille. Et pourtant, c’était bien lui. Jonas, le père de Max.
Il fixait la femme à laquelle il avait confié son fils, seize ans plus tôt. Gwenaëlle tendait toujours l’éplucheur vers lui, et le posa sur le plan de travail quand elle s’en rendit compte.
– Vous pourriez vous annoncer quand vous arrivez !
– Pourquoi ? Cela changerait quelque chose ?

– Oh, super, une prophétie ! Il ne manquait plus que ça. Tu sais ce que j’en fais, moi, des prophéties ?
Le sorcier affronta enfin le regard de Gwenaëlle, ses yeux plus sombres que jamais.
– Oui, tu les réécris et tu les transformes. C’est pour ça que je suis là.
Gwenaëlle ouvrit la bouche, la referma, passa sa main dans ses cheveux. L’électricité les avait dressés autour de sa tête à la manière d’une crinière. Elle se rassit enfin, avant de trouver les mots qui se mélangeaient dans sa tête.
– La dernière fois que j’ai… changé une prophétie, c’était grâce à toi.
– En partie seulement. Tu as modifié ton destin par toi-même, par tes actes. Par l’amour que tu donnais autour de toi. C’est ainsi que tu as construit ton histoire. Moi, j’ai juste filé un petit coup de pouce dans la bonne direction. Mais je n’aurais pas pu y arriver tout seul.
Il se pencha sur la table pour attraper la main de la sorcière. Elle ne réagit pas ; elle réfléchissait encore à ce qu’il venait de lui dire.

Il me tapota la tête, comme un jeune chiot, et je n’eus même pas envie de reculer. J’avais désespérément besoin d’être rassuré.
— Oui, petit. Maintenant, on bosse ensemble. Pour le meilleur et pour le pire, comme dirait l’autre.
Soulagé d’une tension que je n’avais pas voulu avouer, je laissai Renold prendre la relève à la civière et repartis avec plus d’allant. Marek nous avait prouvé qu’il avait plus d’un tour dans son sac et vu le gonflement de celui qu’il avait emporté en quittant l’entrepôt, j’étais persuadé que nous ferions leur peau aux bandits. Peu m’importaient les moyens, j’étais prêt à raser leur camp s’il le fallait, à exterminer chacun d’entre eux si besoin. Je n’avais plus envie de me faufiler en douce parmi eux pour libérer Anna en toute discrétion. Je relatai mes plans vengeurs à Renold qui peinait à la traîne de notre troupe. Il n’était pas aussi certain que je l’étais que nous serions plus puissants que ces hordes entraînées et armées.
– Je suis vraiment désolée pour toi, Maël. Mais ne t’inquiète pas, je vais faire ce qu’il faut pour te sauver. Tu vas bientôt récupérer tes esprits.
Maël tenta de la retenir, mais elle s’écarta brusquement, une note d’hystérie dans la voix :
– Ne me touche pas ! Excuse-moi, c’est que…
Elle lui caressa presque la joue, arrêta sa main
à deux centimètres de son visage.
– Bientôt, tu ne seras plus sous son emprise, je te le promets. Tout ira mieux, alors, tu verras…
En attendant, il est préférable qu’on n’ait pas trop de contact.
Elle sortit sans un au revoir. Maël ne s’inquiéta pas de ses propos. Il croyait Gwenaëlle assez forte pour se défendre toute seule.
La légende disait pourtant que les sorcières n’avaient jamais pu se sauver elles-mêmes.
- Ou avez-vous appris à combattre de cette manière ?
- Tous les bibliothécaires savent le faire. Le maniement du bâton fait partie de notre formation de base. Nous devons être aptes à défendre les livres contre toute personne qui penserait les abimer. (p. 169)
C’était pourtant impossible : les bibliothécaires devaient être capables de se défendre en toutes circonstances. Je réalisai alors que je n’étais pas si sûr de moi non plus concernant les capacités de la fameuse Miss Bennet en cas de combat. Peut-être le conseil était-il constitué de bibliothécaires qui ne pouvaient plus exercer sur le terrain.
Mes réflexions m’avaient distrait. Comme souvent. Le reste de la conversation avait disparu. Je ne pensais pas avoir manqué grand-chose, j’avais déjà vécu tout ce qui avait été raconté.